Claironné en "une" du quotidien gouvernemental L'Union au lendemain du conseil des ministres du 16 mars, le résultat brut de l'inventaire dressé par les agents du ministère du Plan en a surpris plus d'un. Ainsi, le Gabon comptait très officiellement au 31 décembre 2003 un total de 1.520.911 habitants, contre 1.014.976 en 1993. Sa population a donc enflé de 49,8% en dix ans, soit une progression de près de 5% par an qui en fait un des numéros un africain de la spécialité ! De quoi faire sursauter experts et statisticiens, incapables de fournir un début d'explication à ce grand bond en avant de la fertilité gabonaise. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) établit en effet à 2,6% le taux de croissance annuelle de la population sur la période 1992-2002 et fixe à 1.306.000 le nombre de ses habitants. Idem pour la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), qui l'arrondissent à 1,3 million. D'où une certaine perplexité et pas mal d'interrogations. "Sommes-nous envahis ?", s'est moqué le journal satirique Le Nganga dans sa livraison du... 1er avril. "Ce chiffre est très surprenant. On se pose des questions, pour l'heure sans réponse", relève un observateur international. Faute de détails en provenance d'un ministère du Plan d'une discrétion exemplaire sur la question, les regards se sont tournés vers la Cour constitutionnelle, chargée de contrôler et, le cas échéant, de rectifier les chiffres du recensement. Au vu de son arrêt du 17 février, dont l'AFP a obtenu un exemplaire, la plus haute juridiction du pays n'y est pas allée de main morte. Les neuf "sages" ont ainsi grossi de 247.953 habitants la copie rendue par les enquêteurs du Plan, qui n'en avaient dénombré que 1.269.732. Dans sa décision, la Cour explique avoir constaté de "nombreux manquements, insuffisances et autres lacunes" dans leur travail et annonce avoir procédé aux "corrections et (...) redressements" nécessaires après "audition des diverses autorités administratives locales". Ces "redressements" font, par exemple, bondir la population de Franceville (sud-est) de 41.042 à 103.840 résidents et celle du département nordiste du Woleu de 49.886 à 73.235 âmes. Ex-fidèle du président Omar Bongo, Zacharie Myboto, aujourd'hui passé à l'opposition, a sobrement qualifiés ces ajustements de "peu convaincants". "Les chiffres du Plan sont conformes à toutes les estimations sérieuses, ceux de la Cour relèvent de la manipulation", réagit plus vivement un diplomate. "Le recensement a manqué de rigueur, surtout dans le décompte des étrangers", avance pour sa part un responsable gouvernemental qui concède "à vouloir bien faire, la Cour a peut-être tordu un peu trop la barre dans l'autre sens". Certains observateurs, eux, ne s'en étonnent guère et rappellent que le chiffre stratégique de la population a toujours fait l'objet de la plus grande attention des autorités. "Pays à revenu intermédiaire, le Gabon a intérêt à surestimer sa population pour réduire son revenu moyen par habitant et devenir éligible à certaines aides", note l'un d'eux. A quelques mois de la présidentielle, d'autres entrevoient dans cette affaire des motivations plus politiques. "Le pouvoir est en train de préparer avec ce recensement un gonflement tout aussi spectaculaire des listes électorales... et la victoire triomphale du président sortant", affirme un critique du chef de l'Etat. Le ministère de l'Intérieur a déjà révélé que la campagne d'enregistrement sur ces listes, close le 31 mars, avait connu un grand succès. A sept mois du scrutin présidentiel, le verdict étonnant du dernier recensement de la population du Gabon, qui propulse ce pays notoirement sous-peuplé au rang de champion de la croissance démographique, n'en finit pas de susciter questions et soupçons.Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent laisser un commentaire. SVP, connectez vous ou enregistrez vous.
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