Monté il y a 38 ans à Libreville par les meilleurs metteurs en scène parisiens de l?époque, l?opéra bouffe qui se joue encore au Palais du bord de mer risque de finir, comme le veut la tradition, dans l?hilarité générale.
Dans « Le Roitelet de la forêt » nous avons commenté l?inévitable bal masqué du début de l?acte final ; on s?est bien marré avec les quiproquos de la liste officielle des forestiers du régime. La liste non publiée des arriérés fiscaux de ceux-ci que nous livrons à présent laisse penser qu?une comédie aussi ringarde ne peut plus durer très longtemps.
A titre d?exemple : les personnages d?Omar et Ali Bongo doivent à ce qu?il est un rien pervers d?appeler l?« Etat » presque un milliard de FCFA.
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Le 5 mars 2005, L?Union publie le communiqué suivant :
Dans le cadre de la réforme de l?attribution des concessions forestières initiée par le Gouvernement, il est demandé aux titulaires des permis forestiers en cours de validité de régulariser leur situation au regard de la taxe de superficie pour les exercices 2002, 2003 et 2004, avant le 15 avril 2005 au plus tard, auprès de la Direction Générale des Impôts.
En application des dispositions du code forestier (articles 275 et 281), les titres qui n?auront pas été régularisés dans le délai précité, feront l?objet d?un retour au domaine de l?Etat et seront fermés à l?exploitation dans l?attente d?une nouvelle attribution.
Cette publication avait tout pour plaire aux pompiers de Washington (ceux de Paris se contentant toujours des contreparties traditionnelles). Avec 40 millions de dollars prêts à être déboursés chez les Bongo en « Projet sectoriel forêt environnement » la Banque mondiale venait de rappeler, dans son document de programme, que
La loi des finances 2004 a confirmé le consensus établi entre l?administration et les opérateurs économiques au sujet du taux de la taxe de superficie et de ses modalités de recouvrement et de liquidation [?]. La volonté de poursuivre cette logique de consensus se poursuivra au-delà de l?année 2004 par la tenue régulière des réunions mixtes Direction Générale des Impôts / Direction Générale des Eaux et Forêts / Direction Générale des Douanes.
S?extasiant à la publication de la liste officielle ? allégée ? des titulaires, la Banque semble avoir oublié de demander celle de la liste des arriérés fiscaux qui allait servir de base pour l?épuration à venir. Si ce qu?on a entre les mains n?est pas cette liste-là, cela lui ressemble à s?y méprendre.
Notre document comporte 299 permis. En ordre décroissant, il indique, pour chacun, le « total du » et le nom du mauvais payeur. Il concerne en tout 6 663 832 ha, soit 62,4 pour cent de la superficie totale de forêt que couvrent les 468 permis valides au 1er janvier 2005. Si on ne compte pas celui dont l?attribution est « en cours », le titre le plus récent sur notre liste a été octroyé le 5 août 2004, c?est-à-dire quatre jours avant l?imposition du moratoire auquel nous avons reproché dans notre dernier texte d?être intervenu un peu tard.
Le « consensus » que la Banque disait « établi entre l?administration et les opérateurs économiques » était plus exactement un consensus entre ces derniers et Omar Bongo lui-même. En avril 2003, une délégation des leurs sort d?un tête-à-tête au Palais avec en poche une réduction du taux de la taxe de superficie de 400 FCFA/ha pour leurs concessions non aménagées, et de 700 FCFA/ha pour celles déclarées foresterie durable. Dans son document de programme, la Banque prévoyait la collecte de 20 milliards de FCFA de recettes fiscales forestières en 2005. A en croire notre liste, les paiements en souffrance totalisent 8 278 089 700 FCFA. Signalons qu?au Gabon la taxe de superficie est perçue d?avance? quand elle est perçue.
Pour avoir confié aux ingénieurs forestiers plus ou moins innocents de la chose néo-patrimoniale sa réforme d?un commerce monopolisé par des hommes politiques, la Banque paie maintenant le prix fort en crédibilité. Quelle nouvelle splendide, dans cette impasse, que son nouveau président soit un si fervent exportateur de démocratie dernier cri?
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Notre photographie de la gangrène se double, en partie, d?une photo de famille. Au premier plan, on voit :
- LAFICO / Bongo Ali (PI 08/95) : 280 000 000 FCFA
- LAFICO / Bongo Ali (PI 12/95) : 280 000 000 FCFA
Quant aux dettes du père du fils prodigue, elles se répartissent ainsi :
Omar Bongo Ondimba / SC Fumu Alfred (PI 10/85) : 164 102 400 FCFA
Omar Bongo Ondimba / SC Bongo Ali (PI 14/02) : 43 454 250 FCFA
Omar Bongo Ondimba / SC Fumu Alfred (PI 11/85) : 16 800 000 FCFA
Omar Bongo Ondimba / SC Fumu Alfred (PI 12/85) : 15 400 000 FCFA
Omar Bongo Ondimba / SC Bongo Martin (PFA 97/02) : 7 595 500 FCFA*
Ce coup de génie par lequel tout un peuple est floué par le biais d?un simple « / SC », on y reviendra forcément. L?ardoise totale du père et du fils Bongo est de 807 352 150 FCFA.
Hors clan, la place du premier débiteur revient, comme il est sain, au premier ministre Jean-François Ntoutoume Emane (PI 10/02*, PI 11/02*, PI 09/02, PI 04/03, PTE 34/03, PI 09/02 (2), PTE 87/03, PTE 88/03). Entre le chef du gouvernement, sa femme Sophie (PI 07/03 ; 11 657 250 FCFA) et leur fils Vincent (PI 19/01 ; 30 902 200 FCFA), la famille Ntoutoume Emane doit au fisc 279 743 200 FCFA. Pour un membre fondateur de l?Association France-Gabon (aux côtés de Tarallo, Chalandon, et Delaunay), grande promotrice de la filière, une somme moins importante serait carrément suspecte.
A la parution en mars dernier de la liste officielle des forestiers, nous nous sommes émerveillés ? tout en émettant quelques interrogations ? de l?absence de l?imparable Richard Auguste Onouviet (PI 16/01, PI 27/01, PI 04/00, PI 18/00). Nos excuses les plus sincères. Il apparaît que le vrai nom du vice-président de l?Association France Gabon et ministre des Mines soit « / SC BOFIGA ». Il s?en sort avec un très respectable 259 085 400 FCFA. A noter que chacun de ses titres forestiers a été attribué lorsqu?il était ministre des Eaux et forêts (1999-2002).
Retournons en famille, quoiqu?à une branche actuellement dissidente. Le général et ministre des Travaux publics Idriss Ngari (PI 03/97), petit-fils de Bongo, traîne un boulet de 154 140 000 FCFA.
Toujours en famille : si, au général et neveu André Oyini (PTE 29/00, PTE 05/98), on ajoute « Angelo » (PTE 30/00), plus « Alda » (PTE 31/00), plus un serviable « Arthur Bodo » (PFA 05/04), ça fait 100 319 200 FCFA.
L?ex premier ministre Paulin Obame Nguema (PI 13/96, PI 01/98, PTE 05/87, PFA 93/03) doit 96 916 400 FCFA ; le président du Conseil économique et social et ex-conseiller personnel de Bongo, Louis-Gaston Mayila (PI 02/79) est bon pour 72 632 000 FCFA.
Mais voir en cette liste interne un banal top ten fait tort à sa vraie richesse.
L?utilisation par ses rédacteurs du superbe « / SC » signifie que le concept de conflit d?intérêt, qui peut paraître si pittoresque quand il est appliqué à une kleptocratie comme la gabonaise, n?y est pas pour autant tout à fait mort. Le premier scoop de notre document est que le fisc attend de la nomenklatura des sommes pharaoniques. Le deuxième est que l?ensemble des cadres du ministère de l?Economie forestière fait dans l?exploitation forestière.
Le 24 juillet 2003 Monsieur le ministre de l?Economie forestière s?octroie les 50 600 ha suivants:
Doumba Emile / SC La Société Dikingui (PTE 05/03) : 12 750 000 FCFA
Doumba Emile / SC La Société Dikingui (PTE 06/03) : 12 750 000 FCFA
Doumba Emile / SC La Société Dikingui (PTE 07/03) : 8 755 000 FCFA
Doumba Emile / SC La Société Dikingui (PTE 08/03) : 8 755 000 FCFA
L?inventeur de la cellule de comptes à numéro à la BICIG et ancien ministre des Finances chouchou de Washington (1999-2002) est passé maître dans les plaisirs du pseudo. Sur la liste officielle, on le retrouve également sous les sobriquets « Mavembe » et « Fouta ». Chapeau.
Le directeur général des Eaux et forêts Gabriel Azizet « / SC Kogou Nyama Raïssa » (PTE 47/00) doit 17 158 400 FCFA au fisc.
Le directeur de la production forestière Raymond Ndomba Ngoye « / SC Koundi Patrick » (PTE 04/03) doit 11 834 100 FCFA.
Le conseiller principal de Doumba, André Jules Madingou « / SC Foutou Georgina » (PFA 101/03*, PFA 115/03*, PTE 82/02*) doit 26 420 000 FCFA.
Le chargé de mission de Doumba, Vincent Ndong (PFA 69/03 [1], PFA 69/03 [2]), seul de cette équipe à s?aventurer sur le terrain à visage découvert, doit 2 634 800 FCFA.
L?ancien ministre délégué auprès du ministre Doumba (janvier 2003 ? septembre 2004) et actuel ministre de l?Education nationale François Engongah Owono « / SC Ekoua Jean-Claude » (PTE 72/03) doit 2 810 250 FCFA.
Pour clore ce triste sous-chapitre, ajoutons que Marcel-Eloi Rahandi Chambrier (PI 04/99), premier vice-président de l?Assemblée nationale et père du nouveau ministre délégué de Doumba, doit 29 120 000 FCFA. Comme on ne cesse de le répéter depuis sa nomination à cette sinécure, Alexandre Barro Chambrier est un ancien administrateur du FMI.
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A quoi ça sert de le cacher ?
Françoise Hardy
Ce n?est pas le moindre des mérites de notre liste que sa faculté à mettre l?esprit dans cet état exquis où l?on ne sait pas si on a envie de rire ou de pleurer. Elle indique que le ministre du Contrôle d'Etat et des inspections, « chargé de la lutte contre la pauvreté et de la lutte contre l'enrichissement illicite », Martin Mabala (PFA 90/02), est forestier depuis un an, se cache derrière le nom de « Tengue François » et doit à l?Etat 2 152 500 FCFA.
En 2002, L?Union a scrupuleusement recueilli sa bonne parole :
[?] Le ministre Martin Mabala a rappelé que les missions qui incombent à l'État ne peuvent être menées à bien que dans le respect des principes fondamentaux de probité, de désintéressement et d'intérêt général qui régissent le service public. « Ceci implique, a-t-il dit, que les agents qui gèrent le service public respectent diverses règles déontologiques sans lesquelles la légalité et la légitimité du service public et les fondements de l'Etat seraient remis en cause. » [04/07/02]
Sans surprise, Mabala n?a pas cherché à mettre en cause les deux directeurs de cabinet de Bongo, Germain Ngoyo Moussavou (PTE 15/01; 19 882 800 FCFA) et Vincent Mavoungou Bouyou (PTE 10/02*, PTE 06/01 ; 21 341 600 FCFA). Ni, à plus forte raison, le neveu chargé de la coordination des services secrets à la présidence, Julien Mpouho Epigat (PTE 37/96 ; 17 640 000 FCFA).
A l?opposé de leurs homologues de la république forestière du Cameroun, les hommes en uniforme gabonais n?ont jamais reçu la reconnaissance qu?ils méritent en tant que garants de l?ordre forestier. Il est à craindre désormais qu?ils prennent en otage la réforme des bailleurs. A moins que les agents du fisc ne souhaitent en découdre avec le général Cyriaque Mbadinga (PTE 45/98 ; 14 000 000 FCFA) et le lieutenant-colonel Michel Ndimba (PTE 33/94 ; 18 121 600 FCFA), obligé des forestiers italiens. Que ces agents se renseignent d?abord auprès du général et chef du renseignement Laurent Nguetsara Lendoye (PTE 62/94 ; 21 000 000 FCFA) si, par hasard, le nom de « A.E. Nguetsara » est connu de ses services.
Certaines de nos données obéissent à la logique autrefois répandue en Corse et dans le 5ème arrondissement de Paris, qui veut que les morts ne soient pas morts. Les 20 496 000 FCFA de l?ancien sénateur et chef de la police nationale Athanase Nzamba (PTE 20/95) n?ont donc pas tiré définitivement leur révérence, avec lui, au printemps dernier.
Idem pour les 56 798 000 FCFA de l?illustre disparu Patrice Nziengui (« / SC Mouanda Moulingui Julien » [PTE 14/00], « / SC Dibongui Jérôme » [PTE 44/00], « / SC Mapangou Mathieu » [PTE 45/00]), décédé en août dernier après « une courte maladie ». Récemment soupçonné de révisionnisme, l?ancien ministre de la Communication avait fait preuve d?une loyauté irréprochable envers le Prince en 1993 en interdisant l?ensemble de la presse privée. L?époque d?Internet ne lui aurait pas plu.
En matière d?indisponibilité, nous avons déjà signalé celle ? temporaire on l?espère ? du taulard Célestin Odounga (PTE 02/99 ; 21 000 000 FCFA), directeur déchu des Douanes. Curieusement (si ce n?est que justice), les dettes du fauteur de troubles et ancien proche d?Ali Bongo Patrick Hervé Opiangah (PI 03/00) semblent, elles, avoir été entièrement liquidées. Il vient d?en prendre pour deux ans.
Ayant compilé ces noms phares, il ne nous reste qu?à survoler les banlieues du pouvoir gabonais que gèrent respectivement Etat et parlement.
Côté fonctionnaires on recense les arriérés d?Antoine de Padoue Mboumbou Miyakou (PTE 58/00, PTE 59/00 ; 42 000 000 FCFA), vice-premier ministre, ministre de la Ville ; de Paul Mba Abessole (PFA 64/03 ; 13 008 800 FCFA), vice-premier ministre, ministre des Transports et de l'aviation civile, chargé des missions et des droits de l'Homme ; d?Egide Boundono Simangoye (PTE 10/01 ; 11 956 000 FCFA), ancien directeur général de la SNBG et actuel ministre de la Fonction publique ; de Firmin Koumazock (PI 15/89* ; 21 000 000 FCFA), secrétaire général du ministère de la Planification ; de Thérèse Chantal Akouosso (PTE 41/95 ; 19 600 000 FCFA), secrétaire générale du conseil des ministres ; de Janvier Essono Assoumou (PFA 45/03 ; 2 691 600 FCFA), conseiller du ministre de l?Economie ; de Paul Malekou (PTE 18/99 ; 21 000 000 FCFA), membre de la Cour constitutionnelle ; d?Ignace Ebé Engohang (PFA 10/903* ; 2 970 000 FCFA), gouverneur du Woleu-Ntem ; de Jean-Pierre Banguebe (PTE 49/01 ; 21 000 000 FCFA), directeur général des PTT ; et de Jules Ngoulou (PTE 13/95 ; 20 991 600 FCFA), sous-préfet d?Akam-Essatouk (Woleu-Ntem).
Protocole oblige, les membres du corps diplomatique mangent à part : on pense aux exportateurs Jean-François Ndongou (PFA 97/03 ; 5 250 000 FCFA), ministre délégué aux Affaires étrangères (« Nous avons un environnement qui mérite d'être visité. Nous serons heureux de recevoir des Chinois ici en visite pour découvrir la beauté de notre pays ». [L?Union, 15/11/04]) ; à sa conseillère Mlle Antoinette Bouanga (PTE 03/01 ; 11 317 600 FCFA) ; ainsi qu?à Mireille Obame Nguema (PFA 92/03* ; 7 800 000 FCFA), conseillère à l?ambassade du Gabon à Washington.
Pour se perpétuer en décembre prochain, l?Etat fantôme va pouvoir s?appuyer sur des forestiers comme Clément Sima Obame (« / SC Société Afrique Verte » [PFA 58/03], « / SC Bengone Bedang Biyogho Sylvie » [PTE 59/03] ; 17 564 800 FCFA), représentant de la Commission nationale électorale dans le département d?Etimboué (Ogooué-Maritime) lors des élections législatives partielles de juillet 2003 ; et comme Léonard Diderot Moutsinga Kebila (PFA 11/002* ; 3 780 600 FCFA), conseiller au ministère de l?Intérieur chargé des associations et partis politiques.
Enfin, le last et le least du système Bongo, le peuple gabonais. Ses députés se chargent de la comptabilité suivante :
Michel Menga (PDG) (PI 02/98) : 31 269 000 FCFA
André Mbourou (PGP) (PTE 02/02) : 21 000 000 FCFA
Joseph Etoughe Otsaghe (FDU) (PTE 44/01) : 21 000 000 FCFA
Paul-Marie Lissenguet (PDG) (PTE 20/95) : 40 656 000 FCFA
Charlotte Leflem (PDG) (PTE 22/01*) : 17 140 200 FCFA
Barnabé Indoumou Mamboungou (PDG) (PTE 38/00) : 11 827 200 FCFA
Félix-Anicet Moukandja (PDG) (PTE 28/93) : 9 926 000 FCFA
Olivier Ekozy Kondondoh (PDG) (PFA 63/02*) : 9 000 000 FCFA
Ses sénateurs, de celle-ci :
Joseph Bonnel Mickoto (PDG) (PTE 33/98) : 21 000 000 FCFA
Maurice Leflem (PDG) (PTE 21/01) : 19 693 800 FCFA
Cyriaque Nkoghe Abiaghe (RPG) (PTE 13/00) : 6 622 000 FCFA
Le maire de Franceville, Maurice Ndziba (PTE 02/00) est redevable à hauteur de 6 316 800 FCFA.
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Et quid des excellentes sociétés forestières à capitaux étrangers au Gabon ? N?allez pas croire qu?elles soient plus « citoyennes » que les citoyens.
Une « Situation de l?aménagement forestier au Gabon » pondue par la DGFE en octobre 2004 les répartit en plusieurs groupes. D?abord celles dont les « plans d?aménagements [sont] non produits en raison des problèmes structurels » : on ne reverra jamais ? mais alors jamais ? la couleur de cet argent-là. Se trouvent dans cette catégorie, outre bien sûr la LAFICO des services libyens (560 000 000 FCFA), la Société forestière de Makokou (SFM) (280 000 000 FCFA), partenaire de la malaisienne Winnerpac Sdn Bhd, celle-ci filiale de la géante Associated Kaolin Industries, elle-même créature de Greatpac Holdings. Avec ce genre de personne morale, la délinquance fiscale ne surprend pas beaucoup. Faisant bonne contenance, la DGEF qualifie le plan d?aménagement des Malaisiens d?« attendu ».
Dans le « Roitelet » nous avons porté un regard spécialement intolérant sur l?italienne Basso Timber Industries Gabon (BTIG), dont la gestion forestière piétine aussi. Les hommes de Basso Legnami srl doivent 219 235 800 FCFA à leurs interlocuteurs de Libreville, tout en gardant quelques petits sous en réserve ? c?est garanti ? à la Banca Nazionale del Lavoro (Torino) et à la Banque Popolare di Intra (Verbiana).
Les partenaires malaisiens de la BTIG lui montrent le bon exemple. Non seulement la convention provisoire d'aménagement ? exploitation ? transformation (CPAET) de Bordamur, filiale de Rimbunan Hijau Bhd, s?affiche « signée » et son inventaire d?aménagement « en cours » de réalisation, mais elle aurait réussi à bannir de sa concession les braconniers qui y ont longtemps sévi. Grâce aux financements de la Coopération au développement des Pays Bas, du Fonds français pour l?environnement mondial, de l?United States Fish and Wildlife Service, de l?Union européenne, des Nations unies et surtout du WWF, Bordamur peut donc se déculpabiliser des petits arrangements de la famille Basso.
Dans leur compte rendu du projet Minkébé de décembre 2002, les experts du WWF observent :
Les équipes de surveillance [anti-braconnage] doivent être basées hors des concessions forestières. Des agents de surveillance basés en permanence dans une concession perdent leur efficacité parce qu?ils connaissent tout le monde et sont sensibles à la pression locale. Il devient difficile d?être strict avec des gens qu?on connaît trop bien.
Dieu sait que le WWF est bien placé pour le savoir.
Le partenaire de la Société forestière de Zoolende (SFZ) (280 000 000 FCFA), la Société équatoriale d?exploitation forestière (SEEF), se trouve dans la rubrique des gestionnaires presque durables (« CPAET signée ») ; son plan d?aménagement est « attendu sur trois ans ». Mais là il ne s?agit pas d?une société étrangère. Les jeunes frères Ricordeau, fils de colon, sont bien entendu Gabonais à part entière.
M. Paolo Corà, lui, est Italien à part entière. Le PDG de Corà Wood (filiale de Corà Domenico & Figli spa) a annoncé fin mai qu?il allait licencier 130 de ses employés à Port-Gentil. C?était soit ça, soit payer ses impôts, en l?occurrence 69 600 000 FCFA. On imagine qu?à l?usine Corà d?Omarska, en Bosnie Herzégovine, la main-d??uvre est tout aussi corvéable qu?au Gabon. Se trame une bien amère déloc.
Tandis que la Tropical Timbers Industry Board (TTIB) a pu franchir l?obstacle CPAET en dépit de ? si ce n?est grâce à ? sa dette de 196 000 000 FCFA, la situation de la forêt de l?indienne Olam (6 997 500 FCFA) nous reste obscure. Etonnant qu?une entreprise qui vient d?accepter 50 millions de dollars d?aide de la Banque mondiale n?ait pas de quoi régler ses impôts.
Après les forêts perdues et celles en voie de régularisation, voici celles dont les plans d?aménagement sont « en cours d?examen » voire carrément « validés et mis en ?uvre ».
Dans cette dernière catégorie, la Société des bois de Lastourville (SBL), partenaire de Thébaut Transibois (filiale de Jean Thébault SA des Deux-Sèvres), doit 138 400 000 FCFA. Petit prix à payer dans la lutte pour le développement. Dans les années 90 la Coopé a financé la SBL et Thébaut à hauteur de 3 millions de FF.
Saluons très franchement l?absence du portugais Leroy Gabon du camp des mauvais payeurs ? même si son plan d?aménagement, déposé, présente pour l?instant « des problèmes de l?ordre techniques et réglementaires majeurs [sic] ». On se demande si d?autres genres de problème seraient à repérer sur le compte (n° 8611521) qu?a ouvert il y a longtemps sa scierie Placages d?okoumé du Gabon (Pogab) à la Citibank Londres.
De même, nous célébrerions l?évidente bonne foi du mammouth corsafricain Rougier, si seulement la liste de ses « fermiers » ne s?avérait pas momentanément indisponible. La loi des finances 2004, stipulant que « Le titulaire du permis et l?exploitant forestier sont tenus solidairement au paiement de la taxe [de superficie] », rend un tel manque particulièrement difficile à supporter. On peut douter qu?aux commandes de la vache à lait Rougier Gabon la fermière Pauline Mavongo (PTE 79/02 ; 7 187 600 FCFA) trône toute seule.
Quant à la Compagnie équatoriale des bois (CEB), multi primée par l?AFD, c?est l?absence de deux tiers de ses concessions de la liste officielle des titres valides qui décourage nos applaudissements. Sur ses 615 000 ha, le recensement du premier janvier 2005 n?affiche que 186 490 ha. Il est vrai que, jouissant de multiples rapports de bon voisinage, la société phare de la foresterie française en Afrique a toujours connu ses limites. Prises en sandwich entre ses deux gigantesques blocs non contigus : les très riches heures de « Fumu Alfred » ? qui rime avec « Bongo Albert » ? et de « Nguia Paul », le nom de guerre de Paul Toungui. Surtout, la CEB apprécie la présence à ses côtés de la Compagnie du Komo.
Il n?y a pas meilleure compagnie en laquelle terminer notre tour d?horizon fiscal. Comble de coïncidence, la concession la plus endettée du couple « Omar Bongo Ondimba / SC Fumu Alfred », « PI 0/85 », dans le même coin de forêt que le permis « PI 01/00 » de la Compagnie du Komo, couvre exactement la même superficie que lui (117 216 ha). Grande bénéficiaire des largesses de la Banque mondiale et de l?AFD, la société forestière « privée » la plus bongoïste du Gabon doit au Trésor 188 102 400 FCFA. En ne comptant pas les 23 254 000 FCFA d?Alain Mabiala Moussirou (PTE 27/97), directeur général de l?antenne congolaise de la BGFIBANK, dont la Komo possède 25 pour cent. Les liens de longue date entre l?entreprise de Christian Kerangall et Bongo SA ? allant bien au delà du cadre de la FIBA II ? ont été détaillés l?an passé sur le site de BDP Gabon Nouveau. Pas besoin d?y revenir. Des médias hexagonaux, on attend toujours de pareils détails sur les sociétés franco-françaises de la Komo, en commençant par son Bureau technique d?approvisionnement (BTA) dans le 17ème arrondissement de Paris, établissement aussi florissant qu?encore peu connu du grand public.
En Afrique forestière, il n?est pas sage de bâtir sa case sous les grands arbres. Alors que commence à capoter le système forêt de la Françafrique, les bâtisseurs comme les héritiers de la maison Bongo ont plus que jamais raison de craindre la tempête.
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