Propos recueillis par Marianne ENAULT, leJDD.f – Lors de son discours prononcé devant le Parlement congolais à Kinshasa jeudi, Nicolas Sarkozy a proposé “une nouvelle donne” aux Africains. Déjà, au Cap en février 2008, il avait dit vouloir “changer le modèle des relations entre la France et l’Afrique”. Qu’en est-il réellement? LeJDD.fr a posé la question à Jean “Denard”*, co-fondateur de la Cellule Françafrique.
Nicolas Sarkozy a encore une fois proposé “une nouvelle donne” aux Africains. Depuis le discours du Cap, celle-ci s’est-elle concrétisée?
Certaines choses évoluent, comme par exemple la renégociation des accords de défense, même si les conditions de la transparence ne sont pas réunies. Pour le reste, on assiste à la continuité d’une politique guidée exclusivement par des intérêts économiques.
Le président veut “abolir ce que le passé a laissé d’obscurité” sans pour autant prôner “la liquidation d’une relation ancienne et fraternelle”…
Sarkozy refuse, selon ses mots, la repentance. Or, il n’y a pas de relation possible avec l’Afrique si on ne regarde pas le passé. Au Tchad, au Rwanda, au Congo Brazzaville, la France s’est rendue complice de régimes criminels. Aller dire à Denis Sassou-Nguesso [le président du Congo Brazzaville, ndlr] qu’il ne faut pas s’appesantir sur le passé, lui qui dans les années 1990 a participé à l’épuration ethnique dans son pays, c’est donner un blanc-seing à ce genre de pratiques.
En janvier, Nicolas Sarkozy a évoqué le nécessaire “partage des richesses” de la République démocratique du Congo avec ses voisins. Face au tollé provoqué par ces propos, il s’est contenté jeudi d’évoquer une “mise en commun des ressources”
Depuis 15 ans en RDC, la guerre a fait plus de 3 millions de morts, l’équivalent d’un 11-Septembre tous les jours. Le peu d’attention politique et médiatique autour de cette région est consternant. Le fait que Nicolas Sarkozy, mais aussi Barack Obama, se penchent aujourd’hui sur cette question est en soi positif. Mais il faut bien sûr regarder le contenu. Le sentiment des Congolais est légitime: depuis dix ans, leur territoire est pillé et aujourd’hui on voudrait inscrire ce pillage dans la loi. Mais est-ce qu’il ne faut pas en passer par là pour que cesse le bruit des armes? La priorité est de contrôler les ressources issues de l’extraction minière. On ne résoudra pas le conflit sans s’attaquer à la dimension économique de la guerre. Mais il y a une volonté évidente de la France d’une présence plus forte de ses entreprises dans la région.
“Un soutien au chef d’Etat congolais”
Le président s’est ensuite rendu au Congo, à quelques semaines de l’élection présidentielle. Il a tout fait, pourtant, pour nier le caractère politique de cette visite…
Le régime congolais représente ce qui se fait de pire sur le continent africain. Le président soudanais, Omar el-Béchir, n’a rien à lui envier. Sa place est davantage devant la Cour pénale internationale qu’à l’Elysée. Le fait que Sarkozy aille lui décerner la palme de la stabilité démocratique, ça fait mal. Et ce d’autant plus que cette visite intervient alors que la justice française doit se prononcer sur la recevabilité de la plainte concernant les biens mal acquis de certains dirigeants africains, dont Denis Sassou Nguesso. La visite est immanquablement perçue comme un soutien au chef d’Etat congolais.
A Brazzaville, Sarkozy a déclaré que la démocratie et les droits de l’Homme faisaient partie “de notre héritage commun”.
C’est hallucinant. Mais ce double discours n’est pas nouveau. En Afrique, la France a toujours défendu la démocratie tout en soutenant des régimes peu recommandables. Sarkozy se situe dans la continuité de ses prédécesseurs.
Ces derniers temps, la société civile congolaise a fait l’objet d’une violente répression…
La situation est délétère. Des incendies extrêmement suspects ont visé les maisons de plusieurs opposants. La femme et les enfants d’un journaliste franco-congolais, Bruno Ossebi, sont morts dans un incendie. Blessé, il est étrangement mort la veille de son rapatriement sanitaire en France. La maison d’un autre membre de la société civile congolaise a été incendiée près d’Orléans… Nicolas Sarkozy a beau dire que la France n’a pas de candidat au Congo, quand on rend visite à un dictateur à quelques semaines d’une échéance présidentielle, ça ressemble à un soutien.
Troisième pays visité par le président, le Niger, où Areva doit exploiter la plus grande mine d’uranium au monde…
Il est évident que le sort des populations du Niger préoccupe moins Sarkozy que les parts de marché d’Areva. Anne Lauvergeon [la P-DG d’Areva, ndlr] est de toutes les sauteries présidentielles. Il n’est pas un voyage sans qu’elle ne signe un gros contrat. Avec Sarkozy, on est, comme le dit l’association Survie**, dans une Françafrique décomplexée. Avant, on cherchait à masquer sa stratégie de domination par un discours sur le développement, aujourd’hui non.
Dans une logique du pire… la Françafrique décomplexée pire que la Françafrique?
Ce qui nous préoccupe, c’est le sort des populations. Pour elles, que cette politique se cache ou non derrière de bonnes intentions importe peu. Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a promis la rupture avec la Françafrique. Au soir de sa victoire, il a dit qu’il ne laissera jamais tomber un défenseur des droits de l’Homme. Aujourd’hui, au nom du cynisme et des intérêts supérieurs des grandes multinationales, le silence prévaut.
Joyandet défend “les intérêts économiques” de la France
Tout en maintenant ce lien avec ses anciennes colonies, la France cherche aussi à se développer ailleurs en Afrique…
Il est évident qu’à partir du moment où la politique française en Afrique est essentiellement dominée par un souci d’expansion économique, la France ne va pas s’arrêter à ses anciennes colonies. Il y a une volonté claire de s’implanter dans les pays anglophones. C’est ce qu’il faut comprendre quand Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Coopération, s’émeut que l’aide au développement française en Tanzanie ne serve pas aux entreprises françaises.
Aurait-il oublié l’intitulé de sa fonction?
Il ne l’a pas oublié, il n’est jamais entré dedans. Pour plaire, vraisemblablement à Omar Bongo [le président du Gabon, ndlr], Sarkozy a écarté Jean-Marie Bockel, qui n’avait pourtant fait que répéter les propos du candidat Sarkozy. Pour le secrétariat d’Etat à la Coopération, le président a cherché un fidèle allié, quelqu’un sans connaissance – ni préoccupation – des questions de développement. Il a été nommé en raison de sa docilité envers l’Elysée. Et en tant qu’ancien homme d’affaires, il défend les intérêts économiques de la France en Afrique. Mais quand un gouvernement dit que l’aide au développement ne doit pas servir au développement mais aux entreprises françaises, il n’y a personne pour s’émouvoir.
*Plusieurs citoyens français, dont certains membres d’ONG ou d’associations, ont fondé pendant la dernière campagne présidentielle la Cellule Françafrique, allusion pas du tout voilée à la “Cellule Afrique” de l’Elysée, au sein de laquelle ils dénoncent la politique de la France en Afrique. Tous ont pris des noms “d’éminents membres de la Françafrique”. Jean “Denard”, du nom du mercenaire français Bob Denard, est l’un des fondateurs de cette cellule. Il est également spécialiste des questions de développement en Afrique au sein d’une grande ONG française.
**L’association Survie lutte contre les réseaux de la Françafrique.
6 Réponses à Sarkozy, “la Françafrique décomplexée”