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Sujet: "La Culture Africaine et ses Langues !!!"     Précédente | Suivante
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Conférences L'arbre à palabres africaines et internationales Discussion 74
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IB
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29-mai-02, 07h11  (Heure de: New Jersey)
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"La Culture Africaine et ses Langues !!!"
 
   La Culture Africaine et ses Langues !!!

Le bilan de la colonisation nous a fait découvrir que la culture africaine a subi de graves destructions et qu'il faut s'atteler à sa reconstruction. Dès lors, la question des langues africaines s'imposent. Donc, l'ndépendance africaine me semble impossible si nous ne parvenons pas à unir nos peuples, afin de règler la question d'une langue commune. En admettant qu'une culture est un ensemble d'éléments qui caractérisent les relations d'un groupe humain particulier à son environnement et celles des membres de ce groupe entre eux, la langue parlée par ce groupe est alors un produit, parmi d'autres, de cette culture. Cependant, la langue occupe une position centrale en tant que moyen spécifique d'expression et de conversation de toute l'expérience historique de ce groupe humain qui ne reproduit l'expérience de nulle autre population. Aucune des langues humaines actuelles ne peut donc, par essence ni en fait, prétendre à la représentation de l'universalité. Elles sont toutes relatives à des cultures et traduisent, chacune, un ensemble de faits d'existence particuliers, dans un contexte déterminé.

Vouloir exprimer les faits d'existence africains par des langues européennes n'est pas seulement absurde au plan logique, c'est en plus, au plan humain créer une situation de traumatisme puisque le vécu de nos peuples n'est plus alors en adéquation avec le moyen d'expression de ce vécu. Il en résulte, de manière permanente, un trouble, une perturbation, une frustration et, plus grave, l'impossibilité pour une génération d'hommes et de femmes de recevoir, dans des conditions normales de passion, le patrimoine culturel de la génération des parents et de celle des grands-parents. Lorsque Amadou Hampaté Bâ dit que : " En Afrique, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle ". Cela tient au fait que ce vieillard ne trouve pas un jeune à qui transmettre son savoir. L'école coloniale et, dans son sillage, l'école des pays africains dépendants parlent une autre langue que celle de nos ancêtres. Sans une langue commune aux générations coexistantes, rigoureusement apprise par les jeunes générations auprès de leurs ascendants. Comment voulons-nous, dans une civilisation de l'oralité, que la transmission des savoirs puisse-t-elle s'effectuer correctement ? Aujourd'hui, le fait de ne pas ouvrir la porte de l'école, des administrations et de l'édition aux langues africaines revient à programmer la mort de la culture africaine et l'aliénation des peuples d'Afrique à la culture occidentale.

La situation des langues africaines est extrêmement préoccupante du fait de l'entrée massive et anarchique, dans leur vocabulaire, des mots étrangers provenant des langues européennes qui occupent dans nos différents Etats une position dominante de langues officielles : les dirigeants politiques, qui n'ont aucune fierté, aucun amour-propre, aucune sensibilité, ont pris la lourde responsabilité de faire ce choix, lors de la fameuse soit-disant " décolonisation de l'Afrique ". Ils n'ont jamais essayé d'envisager une autre voie que celle du colonisateur. Il est inconséquent-plus sûrement dramatique-de discourir sur la culture africaine tout en reléguant à une position subalterne les langues qui sont les moyens d'expression naturels et historiques de cette culture et auxquels aucune langue européenne ne saurait évidemment se substituer dans ce rôle.. Nous ne pouvons pas faire autrement que d'affirmer la nécessité et l'urgence du rétablissement des langues africaines dans leur statut d'avant la colonisation, celui de langues nationales et officielles. Quatre propositions s'imposent :

-Première proposition. Unir nos Etats d'abord, c'est notre seul et unique devoir. Ensuite, dans chacun de nos Etats, chacune des langues existantes sera reconnue et déclarée :
-langue nationale
-partie intégrante du patrimoine culturel
-bénéficiant de la protection et de l'aide de l'Etat
-enseignée à l'école et dans les centres d'alphabétisation à créer
-ayant accès à tous les médias et à tous les lieux de la culture : radio, télévision, cinéma, presse écrite, théâtres et maisons de la jeunesse.
-deuxième proposition. Dans chaque Etat, sera choisie une langue africaine commune de tous les citoyens, qui sera affectée à la fonction de langue officialisée :
-du gouvernement et du parlement (est-ce-que ce dernier, existe-t- il ?)
-de l'information
-de l'enseignement
-de l'économie et du commerce
-de la grande diffusion culturelle et de l'édition
J'en suis persuadé que certains africains voudront que leur langue soit représentée. C'est tout-à-fait normal. Mais, il faut que ces Africains comprennent que nous sommes tous de la même famille et que rien ne peut nous séparer. La concertation du choix de la langue officielle précedera dans un esprit constructif, unitaire et patriotique, si nous voulons retrouver notre dignité. Les critères de ce choix pourraient être :
-l'extension géographique de la langue
-l'importance démographique de la langue
-le caractère véhiculaire de la langue, c'est-à-dire son efficacité réelle dans son vocabulaire et dans sa communication et les échanges.
-le rôle culturel rempli par la langue dans l'Etat.

Les points exposés dans le premier volet montrent que la langue officielle ne portera nullement atteinte à l'existence, à l'expression, à la diffusion ni au développement des autres langues nationales qui disposeront des garanties inscrites dans la constitution des Etats-Unis d'Afrique. Ces garanties veilleront le parlement de chaque Etat et le ministère de tutelle qui pourrait être le ministère de la culture.

-troisième proposition. Dans chacune des trois régions que l'on pourrait créer en Afrique, à savoir l'Afrique de l'Ouest , l'Afrique Centrale et un ensemble regroupant l'Afrique Orientale et l'Afrique Australe, sera choisie une langue régionale. Ce choix obéira aux mêmes critères que ceux d'une langue officielle dans un Etat, appliqués cette-fois-ci à l'échelle de la région. Là aussi, la détermination de la langue régionale doit être guidée par la volonté de bâtir notre avenir, c'est-à-dire un ensemble géographique et politique cohérent, complémentaire et solidaire.

Ces trois langues régionales accéderont au statut de langues internationales admises dans toutes les institutions internationales. Elles seront utilisées dans les conférences, colloques et séminaires inter-africains et les délégués de nos Etats, qui participeront à des rencontres internationales, devront s'imposer la discipline d'utiliser ces trois langues régionales typiquement africaines pour qu'elles acquièrent une existence internationale et effective.. Il est clair, qu à terme, l'une de ces trois langues régionales, sera adoptée comme la langue officielle de l'Afrique Noire mais, pour cette dernière étape, il faut méditer et lutter pour les Etats-Unis d'Afrique, afin de savoir laquelle de ces trois langues présentera les meilleures qualités pour assurer notre survie. Certaines personnes se demandent, peut-être, si les langues africaines possèdent les qualités, autrement dit le vocabulaire principal, pour exprimer les nombreux concepts utilisés dans toutes les activités professionnelles, intellectuelles ou autres. je les rassure tout de suite en disant que chacune de nos langues dispose déjà d'un corps très étendu de mots en usage dans les métiers traditionnels et dans la vie courante, dont le domaine s'étend depuis les objets les plus concrêts, jusqu'aux notions les plus abstraites et les plus sophistiquées. Ce stock de mots est parfaitement adaptable aux concepts modernes. En voici la preuve : dans son livre " Nations nègres et culture ", le professeur Cheikh Anta DIOP, la plus haute sommité scientifique africaine du XXème siècle, a traduit en Wolof-et l'ont pourrait, bien-sûr tout autant dans chacune des autres langues africaines (l'essentiel du vocabulaire, des mathématiques et de la chimie). Ensuite, il a transcrit fidèlement un texte du physicien Paul Langevin sur le principe de la relativité qui avait été mis au jour par le célèbre physicien Albert Einstein au début du siècle.

Poursuivant sa démonstration, Cheikh Anta DIOP passe au domaine littéraire en traduisant successivement un extrait d'une pièce, du dramaturge français Pierre Corneille, intitulée Horace, et un couplet de la Marseillaise, l'hymne national français. Le savant Cheikh Anta DIOP a voulu ainsi démontrer que tout ce qui se dit et s'écrit dans les langues européennes peut se dire et s'écrire dans les langues africaines. Il faut savoir qu'en plus une langue, quelle qu'elle soit, possède la capacité de créer d'innombrables nouveaux mots, si cela est nécessaire, à partir de ses éléments internes que sont, par exemple, les radicaux, les préfixes et les suffixes. Les langues africaines disposent de ces éléments en abondance. Le développement d'une langue est affaire de circonstance, d'opportunité, de volontarisme et, surtout, d'une formidable conscience collective. Les langues africaines sont prêtes à répondre à toutes les demandes. Il suffit que soit prise une décision politique d'installer ces langues dans de nouvelles fonctions. Ce travail peut être confié à un groupe constitué par exemple : de linguistes; de représentants des différents corps de métiers, modernes ou traditionnels; d'enseignants; d'artistes; d'intellectuels de toutes les disciplines et d'hommes politiques.

Dès qu'une langue sera installée dans ses nouveaux attributs , elle bénéficiera des moyens législatifs, administratifs et matériels nécessaires à son existence pleine et entière, elle se développera à grande vitesse partout où le peuple est présent et travaille : la rue, les marchés, les bureaux, les ateliers, les entreprises, les écoles, les universités, les associations, la production littéraire et artistique, etc...et surtout ne mettons pas en place aucune institution académique, préposée à une tâche de régulation et qui figerait, comme dans un corset, nos langues auxquelles l'oralité a donné, de tout temps, une liberté et une vitalité prodigieuses. Il suffirait d'un organisme moins contraignant et moins protocolaire, confié à une université, qui publierait les règles de base du vocabulaire et de la grammaire de chaque langue et qui donnerait son avis, régulièrement, sur l'évolution de cette langue. C'est le peuple qui a créé sa langue depuis des siècles et c'est lui qui l'enrichira. On peut compter sur la créativité et sur la pétulance des Africains pour porter leurs langues populaires vers les plus hauts sommets.

Durant la colonisation et jusqu'à nos jours, certaines argumentations ont continué de prétendre que la "multiplicité" des langues africaines constitue un obstacle infranchissable et que nous ferions de conserver les langues européennes comme langues officielles pour nous simplifier la vie. Cela revient à dire : " Aliénez-vous culturellement pour éviter d'interminables querelles de préséance linguistique".Le discours de la multiplicité n'est pas seulement diviseur. Il est surtout fallacieux. Les exemples sont nombreux en Afrique où des communautés portants des noms différents, vivant dans un même pays ou séparées par des frontières d'Etats arbitrairement tracées depuis le temps colonial, parlent en fait une seule et même langue. Parmi des dizaines d'exemples, on peut citer :

-l'ensemble Bulu-Ewondo-fang réparti sur le Cameroun, la Guinée Equatoriale et le Gabon
-les peuples Akan partagés entre la Côte d'Ivoire et le Ghana
-l'aire Mandingue ou Malinkée couvrant des régions dans dix pays de l'Afrique de l'Ouest
-la famille nombreuse des Communautés Sundi, Vili, Lumba, Banzabi, Bapuni, Bakuni, etc...de l'ancien royaume de Luango, entre Gabon et Congo
-l'ensemble des peuls qui sont repartis dans toute l'Afrique.

Depuis longtemps des travaux linguistiques sérieux ont établi la parenté génétique des langues de l'Afrique Noire que l'on peut regrouper en quelques grandes familles situées dans un ensemble auquel appartient l'égyptien ancien, la langue des Pharaons. Il ressort de cette réalité une unité culturelle que le professeur Cheikh Anta DIOP affirme être le fondement d'un futur Etat fédéral africain, dans un livre publié, en 1960, l'année de tous les malheurs : des indépendances octroyées(avec une lettre accusée de réception). Unir nos Etats est notre direction, notre devoir. Sans ces Etats-Unis, on ne peut pas lutter pour le rétablissement des langues africaines comme moyens d'expression officiels de nos peuples, qui est un impératif historique et politique. Un proverbe dit : si tu ne sais pas où tu vas, demande-toi d'où tu viens et tu trouveras ta route. Les langues sont, assurément, des langues fort belles, ornées d'images, de proverbes, d'expressions délicates, de poésie et de rythme. Ceux qui ont eu la possibilité d'écouter, par exemple, les chants populaires du Mali et de la Guinée, comme Jangon, Duga et Kémé Buréma, relatant les épopées de Soundiata Keïta et de Samory Touré, ne peuvent douter de la beauté et de l'élégance de nos langues qui sont des trésors que nous devons préserver comme notre patrimoine, notre bien le plus précieux. Nos ancêtres les ont sculpées et ciselées de fort belle, tout comme les masques qu'ils nous ont laissés et que d'autres ont trouvés si magnifiques qu'ils nous en ont ravi le plus grand nombre et qu'ils les exposent maintenant dans leurs musées.

Les Africains sont très mal à l'aise dans les langues européennes qui ne peuvent exprimer leur conception du monde et leurs valeurs de civilisation. Selon le professeur Mandiaye Diop : " avec les langues européennes, nous passons notre temps à chercher des mots. Il nous arrive fréquemment de bégayer, de bafouiller et de commetre des fautes de langage. Notre aîné Joseph Ki-Zerbi a dit un jour avec beaucoup d'humour que, dans les rencontres entre Africains, le plus souvent les uns massacrent le français tandis que les autres massacrent l'anglais". Il a parfaitement raison. Mais pourquoi nous donner tant de mal alors que nous disposons chez nous de langues extraordinaires que nous avons têtées. Il est naturel et rationnel de s'exprimer, de s'instruire et de travailler dans sa langue maternelle. Les pays d'Asie, qui ont été colonisés comme nous, ont immédiatement rétabli, à l'indépendance, leurs langues nationales comme langues officielles. L'Afrique est la seule région du monde où une telle décision n'ait pas été prise. C'est, pourrait-on dire, une exception africaine. Allons-nous cultiver la singularité d'être les derniers dans un domaine aussi essentiel ?

Maintenant nos Etats-nations sont dépassés, unissons-nous, soyons positifs et efficaces. Il faut recoller ces morceaux, afin d'avoir une véritable Nation. En ce moment, nous nous mettrons au travail et formerons des groupes d'études et des associations culturelles pour la promotion des langues africaines. Rappelons que rien ne se fera sans l'unité réelle nos peuples. Depuis les soi-disant indépendances, les linguistes africains ont abondamment travaillé dans les universités, les instituts de recherche et les centres de linguistique appliquée. Ils ont mis au point un système d'écriture pour chaque famille de langues africaines. Ils ont publié des lexiques, des dictionnaires, des grammaires, des syllabaires et des manuels complets. Même dans les Etats du continent où la langue officielle est une langue européenne, des initiatives privées ont permis de créer des revues et des journaux en langues africaines. Nombreux sont les Africains qui n'ont jamais pris connaissance de leurs travaux. Pourquoi ? Parce que nous ne faisons pas la loi chez nous. Les groupes d'études et les associations doivent accueillir dans leur sein, outre les linguistes, les meilleurs connaisseurs des langues africaines qui se trouvent dans le peuple, à savoir les traditionalistes, les arisans et les artistes.

Unissons-nous, et rejetons tout culte du diplôme universitaire censé donner la compétence à celui ou celle qui le détient. Dans la société africaine traditionnelle existent des cursus de formation d'où sont issus des intellectuels de haut niveau qui n'ont jamais fréquenté l'école occidentale. Ces hommes et femmes de savoir doivent être invités à participer à la collecte, à la mise en ordre et à l'enrichissement des connaissances. Des spécialistes de la médecine traditionnelle africaine, des universitaires de toutes disciplines. Il faut faire appel aux véritables détenteurs du savoir africain, comme Amadou Hampaté Bâ. Une question capitale, à mon avis, se pose : est-il nécessaire de porter un prénom d'Europe ou du monde arabe pour être chrétien ou musulman ? Je réponds catégoriquement non, puisqu'aucun texte religieux ne l'exige. Il ne faut pas donc confondre christianisme et européanisation, non plus islam et arabisation.

En Asie, par exemple, depuis l'arrivée dans ce continent, ceux des habitants qui s'y sont convertis ont conservé leurs prénoms traditionnels. On pourrait en faire autant en Afrique, pour les chrétiens et les musulmans. La reprises des prénoms de nos ancêtres doit devenir aussi un objectif pour les Africains, sans quoi nous continuerons de nous désidentifier et de nous dépersonnaliser, ce qui est bien notre sort actuellement. Les prénoms traditionnels africains sont chargés de signification et font partie de notre culture. Depuis les soit-disant indépendances de 1960, la situation de l'Afrique ne cesse de se dégrader dans tous les domaines : économique, sanitaire et éducatif notamment, parcequ'au lieu de se réaproprié sa culture de manière rigoureuse et déterminée, l'Afrique a suivi le plus souvent des modèles culturels importés. Certaines parties de la population, livrées à elles-mêmes, sans perspectives, tournent le dos à tout le passé légué par nos ascendants alors que, sur d'autres continents, de grands efforts sont consentis pour sauvegarder les héritages culturels. Nous avons donc le droit et la dignité de sauvegarder et veiller de nos héritages culturels et assurer à nos créateurs scientifiques, artistiques et littéraires un stand social qui tienne compte de nos préoccupations et de nos activités. Mais rien ne se fera sans la participation de tous. Aux Africains, au niveau des régions, des villages, des quartiers, d'exercer un effort collectif d'appronfondissement et de création.

Ibrahima BAH

Ibrahima BAH


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