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Sujet: "Vitalité associative et exigence de moralisation"     Précédente | Suivante
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Conférences L'arbre à palabres africaines et internationales Discussion 61
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Christian
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18-mai-02, 12h00  (Heure de: New Jersey)
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"Vitalité associative et exigence de moralisation"
 
   Chers amis du Gabon,

je vous transmets ci-dessous un article du Monde Diplomatique qui
pourrait vous intéresser. Qu'en pensez-vous ?

Bien cordialement,

Christian HUBER
http://www.christian-huber.fr.st


VITALITÉ ASSOCIATIVE ET EXIGENCE DE MORALISATION

Naissance du démocrate africain


En Afrique, on vote de plus en plus souvent : élections au Bénin, au
Ghana, à Madagascar et en Zambie, référendum au Congo-Brazzaville en
2001. Pourtant, du fait de la lenteur des résultats concrets,
l'enthousiasme qui a suivi la vague de démocratisation survenue dans les
années 1990 est retombé. Et l'aspiration à la liberté d'expression et au
bien-être économique impose un changement de toutes les pratiques
politiques. Car ce sont surtout les mentalités qui ont changé : le
pouvoir, désacralisé, doit se plier à la transparence électorale et à
l'exigence de moralisation.

Par COMI M. TOULABOR
Chercheur, Centre d'étude d'Afrique noire, université Bordeaux-IV.

Alternance politique spectaculaire (Sénégal, mars 2000), mouvementée
(Côte-d'Ivoire, hiver 2000-2001), tranquille (Ghana, Bénin, 2001),
empêchée (Ouganda, juillet 2001), résistance des dictateurs « dinosaures
» Paul Biya au Cameroun et Gnassingbe Eyadéma au Togo... Lla démocratie
progresse tant bien que mal en Afrique. Pourtant, malgré la lenteur des
résultats concrets, une nouvelle culture politique émerge à travers tout
le continent, qui dessine le profil du démocrate africain. Les relations
entre dirigeants et dirigés, les représentations de l'autorité, les
rapports entre le droit et les institutions, entre le pouvoir et la
manière dont il est exercé, traduisent une évolution, lente mais sans
doute irréversible, des mentalités (1).

Il faut dire que les pays africains reviennent de très loin. Et la
nouvelle culture politique prend corps sur les restes encore chauds de
celle qui l'a précédée, la culture des dictatures, où les autocrates,
individus souvent médiocres et corrompus, agissaient comme des mâles
dominants lancés à la tête de populations assimilées à de véritables
troupeaux de gnous canalisés par des Gosplan politiques (la construction
de l'Etat-nation) et économiques (le développement).

Dans la plupart des pays - dont le Togo de M. Eyadéma et le Zaïre du
maréchal Mobutu sont des caricatures -, les cultures autochtones étaient
devenues d'inépuisables sources de légitimation des actes de pouvoir les
plus saugrenus et les plus vulgaires (2). Dans les années 1980, les
conflits internes et les résistances souterraines réussiront à creuser
de petits trous dans cette belle architecture autoritaire que les plans
d'ajustement structurel mettront à rude épreuve avant d'être
sérieusement ébranlée, dix ans plus tard, par les déferlantes de la
démocratie.


Mobilisation des campus

L'aspiration à la liberté d'ex pression et au bien-être économique et
social s'est traduite par la multiplication d'associations, de syndicats
et de partis, le développement de la presse locale et la mobilisation
des campus universitaires, des jeunes, des femmes, des élites évincées
du pouvoir, des organisations non gouvernementales et des mouvements
religieux (3).

A cela s'ajoutent la littérature « grise », les tracts, les graffitis et
les discussions politiques privées dont les Africains sont souvent
friands. Ces mouvements ont joué un rôle décisif dans les alternances
politiques au Sénégal au printemps 2000 et en Côte-d'Ivoire durant
l'hiver 2000-2001 (4). L'apparition de ces phénomènes, pratiquement
inexistants - ou, lorsqu'ils existaient comme au Sénégal de Léopold
Senghor, sérieusement contrôlés -, il y a une dizaine d'années,
constitue en elle-même un changement social et politique important.

Mais la rupture la plus significative réside dans l'idée que les
Africains se font du bon gouvernant. Dans l'imaginaire populaire,
celui-ci doit fondamentalement « connaître papier », c'est-à-dire être
un « lettré » détenant son savoir plutôt de l'école du colonisateur (5).
Ce profil était une des exigences inscrites dans les « cahiers des
charges » qui avaient circulé lors des revendications démocratiques en
1990. Ce n'est pas un hasard si certains gouvernements de transition,
instaurés par les conférences nationales, ont été dirigés par ces «
technocrates » de haut rang venus pour la plupart des grandes
organisations internationales, tels M. Nicéphore Soglo au Bénin, M.
André Milongo au Congo-Brazzaville ou M. Alassane Ouattara en
Côte-d'Ivoire.

Mais l'opinion a revu et corrigé à la hausse la vieille diade
savoir/pouvoir qu'elle a investie d'une charge morale et éthique lourde,
en requérant désormais du gouvernant une intégrité exemplaire et la
moralisation de la vie politique. Ainsi assiste-t-on, un peu partout, à
la création d'observatoires de la lutte contre la corruption, comme,
notamment, au Bénin, au Cameroun et au Ghana (lire Le Ghana entre rêves
et maux d'antan). Certes, dans la plupart des cas, ces observatoires
sont des usines à gaz créées sur le modèle des anciens « éléphants
blancs », vite abandonnés aussitôt construits. Toutefois ils traduisent
une prise de conscience de la corruption, ce sport répandu où excellent
les élites nationales.

Sur les cahiers des charges démocratiques, la désignation du chef passe
impérativement par des élections transparentes et honnêtes. Il est
ramené au statut d'être humain, désacralisé, dépossédé de son statut de
senior et de démiurge, ainsi que de producteur de vérités théologiques,
jetant l'anathème sur les oppositions. Des associations locales
encerclent le chef et veillent pour ameuter les consciences lorsqu'il se
livre à des violations des droits humains comme au Burkina Faso lors de
l'assassinat du journaliste Norbert Zongo. Et les Africains n'hésitent
plus à descendre dans la rue pour contester le chef quand ils le jugent
défaillant.

La contestation n'est pas une donnée nouvelle, mais elle a changé
d'échelle et de nature en prenant des formes plus visibles qui se
substituent, ou complètent, des modes contestataires symboliques ou
cachés d'hier : mouvements syndicaux, grèves de la faim, opérations
villes mortes, mobilisations dans la rue, etc.

Ainsi, au printemps 2000, l'opposition congolaise a-t-elle appelé à
plusieurs opérations ville morte pour demander l'application des accords
de Lusaka (6).

Ces moments de crise et de vérité dégénèrent souvent en scènes de
violence, parfois meurtrière, avec un développement extraordinaire de la
culture de l'émeute que de nombreux jeunes Africains considèrent comme
un mode d'expression politique des plus normaux. Par exemple, en juin
2001, à Port- Gentil (Gabon), 300 jeunes chômeurs ont dressé des
barricades et saccagé des commerces pour protester contre leur
marginalisation. Ces crises sont des « moments de vérité » en même temps
qu'elles constituent des temps normaux dans la vie sociale (7).

Ces évolutions se produisent alors que se maintiennent certaines visions
et pratiques anciennes, comme les pratiques occultes (magie,
sorcellerie, etc.). Dans un contexte compétitif où la détention du
pouvoir est précarisée, les compétiteurs recherchent l'assurance et la
sécurité dans ces pratiques en forte recrudescence.


Une vision assez monarchique

Quand des élections frauduleuses ne sont pas organisées pour conjurer
l'échec, il arrive qu'on utilise les forces de sécurité et de l'ordre
pour déborder les institutions démocratiques afin de se maintenir au
pouvoir. L'ancien président sénégalais Abdou Diouf a su, pendant
longtemps, jouer sur les deux tableaux avant d'être balayé, en mars
2000, par son vieux rival Abdoulaye Wade. Dans cette course à la
victoire à tout prix, rien n'empêche une instrumentation des identités
premières comme modes de mobilisation populaire et de stratégies
politiques, ce qui entraîne parfois des dérives dramatiques illustrées
par l'ivoirité en Côte-d'Ivoire ou même des guerres civiles comme dans
les deux Congos.

Si l'arbitraire et la répression ont relativement diminué, des
journalistes, quand ils ne sont pas assassinés, sont encore sévèrement
sanctionnés, parfois pour des peccadilles, par une justice toujours aux
ordres, qui préfère fermer les yeux sur la corruption endémique des
gouvernants. Le journaliste camerounais Puis Njawe, par exemple, a été
condamné, en janvier 1998, à deux ans de prison pour avoir insinué que
le président Paul Biya était malade.

Mais, dans tous les cas, on voit s'amorcer des revendications d'un
pouvoir légitimé à la fois par sa source (les élections) et par son
exercice (le pouvoir doit être contrôlé et rendre des comptes), en même
temps que demeure une vision assez monarchique. Les deux visions
coexistent étroitement en se superposant, en se juxtaposant ou en
s'agrégeant selon les moments. Ces permanences comportementales peuvent
s'expliquer par le faible renouvellement des principaux acteurs
politiques (8).

Les mutations en cours doivent non seulement s'approfondir et
s'enraciner dans les pratiques individuelles et collectives, mais aussi
s'élargir en touchant de larges couches de la population. Ce qui frappe,
dans les processus démocratiques en Afrique, c'est l'absence de
catégories sociales qui portent véritablement les idéaux et les valeurs
démocratiques et qui les fassent leurs. Mis à part quelques
personnalités actives, les élites (les lettrés) ne luttent pas forcément
pour les principes démocratiques mais plus sûrement pour la conquête du
pouvoir. Et il y a de bonnes raisons de les soupçonner d'être des «
démocrates par convenance ». A côté des associations comme celles de
défense de droits de l'homme, tout à fait légitimes, on aimerait
d'ailleurs voir se constituer aussi des unions des usagers des services
publics qui font cruellement défaut, alors que l'arbitraire et les
premières injustices et brutalités commencent souvent aux guichets des
administrations de l'Etat.

Les couches moyennes urbaines, qui pourraient jouer ce rôle de vecteur
de la démocratie, ont été, depuis les années 1980, laminées par des
plans d'ajustement structurel et n'existent pratiquement plus dans la
plupart des pays africains, tandis que les campagnes restent muettes, ou
du moins inaudibles. L'insécurité alimentaire, curative et scolaire, la
pandémie du sida, l'analphabétisme, le chômage, ont induit la
précarisation de l'existence. Combinée aux turpitudes et à la fragilité
des partis d'opposition, cette précarisation semble avoir déclassé la
démocratie dans l'ordre des priorités.

Cependant, il est clair que les dirigeants africains, qu'ils aient été
ou non réfractaires aux processus démocratiques, à l'instar de M. Paul
Biya au Cameroun ou de M. Jerry Rawlings au Ghana, ne peuvent plus
exercer leur pouvoir comme ils le faisaient auparavant. Ils ne peuvent
plus se passer de constitutions et d'élections et savent qu'il ne leur
est plus possible de se livrer, au nom de Gosplan et de la guerre froide
maintenant caducs, à des violations massives des droits de l'homme au
risque de se retrouver dans la posture désagréable d'un Hissène Habré,
réfugié au Sénégal alors que la justice de son pays, le Tchad, le
poursuit. Les revendications démocratiques et les conditionnalités
économiques et politiques, même si elles ont été souvent détournées de
leurs finalités, ont imprimé des empreintes sur l'art de gouverner.

Depuis plus d'une dizaine d'années, les pays africains ont connu
beaucoup de changements, mais les progrès sont lents et la démocratie
faite de bricolages toujours perfectible. La consolidation de celle-ci
en Afrique dépendra, d'une part, du rapport des forces entre la société,
les individus et les institutions et, d'autre part, de
l'approfondissement et de la diffusion de ces nouvelles cultures encore
fragiles dans toutes les couches de la société.

COMI M. TOULABOR


Dr Christian HUBER, pédiatre
3,rue de Mulhouse 68170 RIXHEIM
tel : (00 33 ou 0)3 89 31 85 72
http://www.christian-huber.fr.st
http://perso.wanadoo.fr/christian.huber/
http://www.multimania.com/christianhuber/


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