[an error occurred while processing this directive]
Pensée du jour 
[an error occurred while processing this directive]
accueil | vote | forums | chatLe BDPiste | répertoires | images | communiqués
ATTENTION - CE SITE EST VIEUX
NOUS AVONS CHANGE DE SITE!!!

NOUS AVONS CHANGE DE SITE EN MAI 2005.
CE SITE EST MAINTENANT UN SITE D'ARCHIVES CONTENANT TOUS NOS ARTICLES
PUBLIES AVANT MAI 2005. POUR ALLER SUR NOTRE NOUVEAU SITE, CLIQUEZ ICI

bdpgabon.org
PRESENTATION
Présentation
Charte BDP
Cellules BDP
Comité directeur
Appel à la nation
Notre pensée
Que dit la presse?
Communiqués
CIGASANA
Le BDPiste
Donations
Gouvernement BDP
Gouvernement PDG
Publications New!
Audios New!
Videos New!
Rejoignez-nous!
Contactez-nous!
Publiez vos analyses!
Archives
Eveille toi Gabon, une aurore se lève.
Encourage l'ardeur qui vibre et nous soulève !
C'est enfin notre essor vers la félicité.

 

 

 

Recherche Actualités:
 
Rougier - forêt, Elf, Pasqua: Les complicités d'Omar Bongo
Auteur:  Arnaud Labrousse  | Date: 2 Décembre 2004  | Réactions ()
Section: Révélations  | Source: BDP
Agrandir Image
Agrandir Image
Agrandir Image

You only need sit still long enough in some attractive spot in the woods that all its inhabitants may exhibit themselves to you by turns.

Henry David Thoreau, Walden

[…] Aussi s’indigne-t-il de voir sa candidature polluée par les agissements d’un juge, rappelle qu’il avait à subir de semblables attaques du même magistrat à la veille de l’élection présidentielle de 2002 et prévient que, cette fois, il interprétera l’inaction de M. Chirac comme un « lâchage » et en tirera « toutes les conséquences ».

Le Monde, 05/10/2004

Il y a des moments où seule la simple décence nous empêche de citer toutes les vertus de notre Pillards de la forêt (Agone, 2002).  Limitons-nous ici au rappel des deux principales.  La première est d’avoir exposé les liens entre le groupe Rougier, roi de la filière du bois françafricain, et la mafia corse, stricto sensu.  La deuxième est celle de n’avoir jamais été poursuivi en justice. 

Avec le recul nous admettons et regrettons, dans notre écrit, une seule erreur grave: notre trop grande prudence.  Prière donc, cher lecteur, d’insérer les pages qui suivent.

Si les frères Rougier sont certes des amoureux du bois, leur parrainage depuis vingt ans de M. Toussaint Luciani ne laisse aucun doute, à l’heure qu’il est, que leur vraie passion a toujours été la faune sauvage de Corse.  Les amours de Luciani, ancien OAS, ont toujours été, elles… multiples.  D’après un « blanc » des services secrets mis en circulation peu de temps après la publication de Pillards, Toussaint Luciani fait dans

tous les trafics, avec une grande priorité pour les stupéfiants et les armes […]. [voir document n°1]

Loin de hanter les faubourgs de l’affaire Elf, ce qu’a pu laisser entendre notre livre, l’entreprise Rougier se situe plus proche de ce qu’il faut bien qualifier de son milieu.  Branchée Pasqua et Chirac, exhibant souvent des teintes brunâtres, elle fait partie des grands non-dits de l’instruction. 

Elle a ça en commun avec le CIAT, le Comptoir international d’achat et transit Afrique Export, cette coquille vide de Luciani abritée encore aujourd’hui dans les locaux de Rougier, au 75 avenue des Champs-Elysées.  Au cœur du bois sacré de la Corsafrique, tout coté en bourse que soit son hôte, il y fait toujours très, très sombre.   

Pourtant, faire finalement parler de l’indicible CIAT n’est pas une cause perdue d’avance.  Car notre but n’est pas uniquement de savoir le montant total de fric recyclé chez Rougier au cour des années.  Comprendre l’actualité nous intéresse aussi.  Par exemple les unes évoquant le chemin emprunté par Charles Pasqua récemment pour retrouver le Sénat, chemin qu’il a débroussaillé lui-même, et avec quelle finesse, là où il passe par l’Elysée. 

Qu’à la rentrée littéraire 2002 les Rougier n’aient pas été d’une humeur procédurière, cela se comprend.  Un an et demi auparavant ils avaient échappés de justesse aux dégâts qu’a entraîné une suite de perquisitions dans le quartier.  Le 13 février et le 1er mars 2001, les locaux de la Société d’études pour le développement (SED), 26 rue de la Trémoille, ont été mis sens dessus dessous par la troïka Joly, Hullin et Courroye. 

Ces deux jours-là, la pêche était exceptionnelle.  On a pu établir que la SED était le QG en France de Robert Feliciaggi et de Michel Tomi, ses véritables propriétaires ; que des valises bourrées de millions de francs en espèces y ont transité en provenance des PMU, des loteries et des casinos d’Afrique en passant par le Crédit foncier de Monaco ; que les porteurs de ces bagages étaient des hommes-liges de Jean-Jé Colonna, « le seul parrain corse » selon la commission parlementaire sur la Corse de 1998 ; que les Ange-Marie Michelosi, Antoine-Valère Bozzi, Jean-Luc Codaccioni dont il s’agissait étaient connus des services de police pour faits de proxénétisme, association de malfaiteurs, vol à main armée, et attentat à l’explosif, entre autres ; que ce que Le Parisien appelait des « décideurs africains » ont été les destinataires finaux du fric ; que Charles Pasqua se faisait un plaisir d’appeler souvent cet établissement ; que le fils de celui-ci, Pierre, avait été chargé par la direction d’une mission en Afrique, que les inspecteurs suspectent d’être fictive ; que la femme de Jean-Jé Colonna était une familière des lieux depuis son rachat d’un hôtel de luxe à Propriano grâce à l’aide de la Caisse de développement de la Corse, institution présidée par l’ancien gérant et actionnaire de la SED, Noël Pantalacci ; qu’une ribambelle de flics en service avaient écrit à Robert Feliciaggi à cette adresse pour demander des « interventions » ; que la Société d’études pour le développement possédait un éventail de faux tampons consulaires de la République gabonaise.

Le gros lot quoi.  Pas chiens lors du déballage à la presse, les enquêteurs étaient seulement un peu chiants.  Dans la foulée, ils ont oublié un morceau de choix – et ils ont continué à l’oublier par la suite, lorsque les mises en examen commençaient à tomber : le nom de la société-mère de la SED.  Un oubli d’autant plus curieux qu’il s’agit d’une donnée parfaitement publique.  Soucieux d’éviter toute non-dénonciation de crime, Les Pillards de la forêt s’est vu obligé de combler cette lacune.  L’actionnaire principal de la SED, qui n’en a jamais compté plus de deux, a toujours été le CIAT, qui ne s’est jamais trouvé ailleurs que chez Rougier. 

Mieux : jusqu’en mai 1992, les bureaux du clan Rougier étaient le siège de la SED.  Les années où les Corses et les Niortais brassaient le plus d’argent africain, la salle de réunion du 75 av. Champs-Elysées, deuxième étage à gauche, débordait d’entrepreneurs d’un genre tout particulier.

Pour parler de la SED correctement, il faut donc d’abord parler du CIAT, et assez longuement.  Si le vrai lieu de naissance de notre histoire se situe sans aucun doute du côté des barricades d’Alger, nous aurons à reprendre ses fils vers le début de 1983.  Et il n’est nulle part question, à cette date, de M. Toussaint Luciani.

*

En février 1983 la filiale gabonaise et société-phare des Rougier est en pleine restructuration.  L’absorption par Rougier Gabon de l’ancienne Rougier Gabon SA, des vieux comptoirs coloniaux Ets Rayer et Cie. et de la Société africaine de déroulage des Ets Rougier et fils s’accompagne d’apports en numéraires conséquents (375 millions FCFA) et de l’augmentation du capital de sa société-sœur, Bois déroulés du Gabon, de plus de 600 millions de FCFA.

Le 4 avril 1983 est créé le CIAT.  Objet : le négoce international et toutes opérations d’import export.  La Banque Libano-française, 33 rue Monceau, est élue pour abriter ses 100 000 FF de capital social.  Etablissement qui, tout comme la FIBA, devenue par la suite la banque préférée du CIAT, ne connaîtra la célébrité que beaucoup plus tard.  C’est à la Libano-française que 43,7 millions FF d’un prêt Elf destiné à Paul Biya atterrissent en 1998 sur un compte de Daniel Leandri.  A l’époque, l’homme de main de Pasqua (chargé par Elf en 1991 de l’embauche des mercenaires pour un putsch mort-né au Congo) jouissait d’un emploi fictif Elf agrémenté d’un salaire mensuel de 83 333 FF.  De la même rétrocommission camerounaise, l’homme d’affaires André Guelfi – « Dédé la Sardine » pour les intimes – reçoit 1,8 million FF, dont la presque totalité est ensuite reversée à la compagnie Air Entreprise.  En 1992 et 1993, cette dernière assure de nombreux vols où, tel un bambin, Pasqua voyage gratis.[1] 

A sa création, le CIAT compte quatre actionnaires, dont trois de Corse-du-Sud.  Notre regard est attiré, au sein de cette équipe, par la seule dame.  Détentrice de 25% des parts et « sans profession », elle s’appelle Epouse Vescovali.

Par femme interposée donc, une bonne tranche du CIAT se trouve dans un premier temps entre les mains de nulle autre que Dominique Vescovali.  Cet époux n’est pas seulement un fidèle parmi les fidèles de Pasqua et un proche de Chirac : le jour de la signature des statuts du CIAT il est aussi, depuis trois semaines, premier adjoint au maire du 13ème arrondissement de Paris.  Treizième dont on se souvient que le maire élu le 13 mars 1983 est un certain Jacques Toubon.  L’année suivante, le maire devient secrétaire général du RPR.

Surnommé « le Magicien » pour ses prouesses en informatique, l’adjoint au maire bosse depuis 1977 (et jusqu’en 1996) chez Bull comme chargé de mission pour « les relations avec le Parlement ».  En cette qualité – informaticien qui présente très bien – il est dès 1979 indispensable au petit peloton de pasquaïens installés 30 avenue de Messine, avec pour mission de faire élire Jacques Chirac président de la République.  La rumeur dit que notre hacker pionnier a su pirater n’importe quel coin des fichiers informatiques du RPR.

Il est bon de se rappeler que les militants de la rue Messine étaient quasiment tous issus de l’extrême droite.  A l’instar du candidat dit socialiste, dont leurs efforts assuraient la victoire.  Aux côtés de Vescovali, on trouvait le futur secrétaire général du RPF Jean-Jacques Guillet, ancien d’Occident (« Avec Guillet, c’est la Wehrmacht qui arrive » confie un proche du maire de Meudon (Hauts-de-Seine) à Libération (12/05/95)), ainsi que Joël Gali-Papa, ancien du Parti des forces nouvelles (PFN) et des Comités de défense de la République.  Pour aller décourager de vilains colleurs d’affiches UDF, on lâchait, la nuit, des escadrons de chiraquiens munis de battes de base-ball et de bergers allemands.

De telles amitiés étaient faites pour perdurer.  En décembre 1981, la veille de la dissolution du SAC, Pasqua crée le mouvement Solidarité et défense des libertés (SDL).  Vescovali en est l’animateur principal.  Côté rue, on plantait du Juppé et du Toubon, du Jacques Médecin, de l’Alice Saunier-Seité.  Côté cour, toute autre ambiance, genre pépinière pétainiste.  SDL comptait parmi les siens le Dr François Bachelot, élu député FN en 1986, Jean Roussel, idem, et encore Pierre Lagaillarde, co-fondateur de l’OAS.  Comme c’était beau de voir les anciens du SAC et les vieux ultras d’Alger trimant ensemble !  Jean Taousson, lui, s’était jadis rendu utile des deux côtés des barricades.  Chef du service de photographie de l’état-major de campagne de Chirac, il se rallie à SDL comme responsable de son bulletin La Vraie Vérité.  Gérard Ecorcheville, ancien d’Ordre nouveau et du PFN est le secrétaire administratif du mouvement; Alain Robert, membre, a été précédemment secrétaire général d’Ordre nouveau, fondateur du PFN, et premier secrétaire général du FN.  On s’arrête là.

Il nous est malheureusement impossible de préciser « les relations avec le Parlement » qu’entretient l’informaticien de Bull au moment où sa femme siège au conseil d’administration du CIAT.  Pour ce qui est d’autres de ses relations, pourtant, l’année de la création du Comptoir, 1983, semble avoir été décisive.  La justice ne prendra connaissance de ces relations que seize ans plus tard, soit juste avant la mort de l’intéressé.

Début 1999, le juge d’instruction de Nanterre Patrick Desmure, enquêtant sur le financement du RPR, met à jour l’existence des emplois offerts au parti par de nombreuses entreprises privées.  Le Monde notait :

Le cas de la société Bull semble différent. Les soupçons des enquêteurs portent sur le détachement d’un ingénieur informaticien auprès du RPR, après l’achat, en 1983, d’ordinateurs installés dans les locaux de la rue de Lille. Interrogé par la brigade financière, cet homme aurait confirmé s’être consacré à la maintenance du parc informatique du RPR durant près de quinze ans, tout en étant rémunéré par Bull – alors entreprise publique. Selon son témoignage, cette situation aurait pu être favorisée par la présence, au sein de la société, de deux personnes aux sympathies gaullistes affichées : Pierre Lasbordes et Dominique Vescovali – désormais mis en examen pour « abus de confiance ». [22/02/99]

Contacté par Le Monde, le Magicien d’antan parlait d’une éventuelle « erreur de gestion » et spéculait : « Ils ont dû se laisser dépasser ».  Quant à lui, il n’a « jamais eu le pouvoir de décider s’il fallait facturer ou non » au RPR ce compréhensif service après vente qui a duré une décennie et demie.  Même s’il reconnaissait que c’était bien lui qui, grâce à ses « bonnes relations » avec le RPR, gardait « l’œil sur cette installation »… jusqu’en 1990.  Son collègue M. Lasbordes a confirmé que l’affectation du technicien Bull au parti n’a pas été facturée avant 1993-94.

Pendant le bref séjour du couple Vescovali chez Rougier, idylle qui se termine le 17 décembre 1984, notre informaticien découvre un goût que seule la première cohabitation va pouvoir satisfaire : celui de la forêt.  Le Monde du 14 mars 1987 rapporte :

M. Charles Pasqua a annoncé, jeudi 12 mars à Avignon, où il visitait une caserne de sapeurs-pompiers, la nomination à son cabinet de M. Nicolas Sarkosy [sic] au poste de chargé de mission pour la lutte contre les risques chimiques et radiologiques, et de M. Dominique Vescovali à celui de chargé de mission pour la lutte contre les incendies de forêts. M. Sarkosy est maire (RPR) de Neuilly-sur-Seine et M. Vescovali maire (RPR) du treizième arrondissement de Paris.

Le nouveau chargé de mission se met immédiatement au boulot.  Craignant une répétition des incendies de forêts ravageurs des deux étés précédents, il organise des patrouilles de jeunes « Casques verts » dans le Massif des Maures pour faire de la surveillance préventive.  Des volontaires sont aussi déployés sur l’île de Porquerolles, île appartenant à presque 100% à l’Etat où, soit dit en passant, se trouve une villa appartenant aux Vescovali. 

Pour couvrir la mise à disposition de 27 motos et 12 vélos, l’opération Casques verts bénéficiait d’un budget de 3 millions de FF pour les seuls mois de juillet et août.  Mais la générosité des « relations » de Vescovali est légendaire.  Cette opération se présentait comme

le fruit d’une collaboration entre le ministère de l’intérieur et six sociétés (Bull, EDF-GDF, Elf, Rhône-Poulenc, Renault-VI et Thomson) qui innovent ainsi de manière originale une forme de « mécénat vert ». M. Dominique Vescovali […] dresse un premier bilan optimiste […]. [Le Monde, 14/08/87]

Si nous n’avons rien à ajouter sur le premier des mécènes ici remerciés, nous aurons plus loin l’occasion de revenir sur les cas de deux ou trois autres.

En cette année 1987, les Rougier apprenaient eux aussi à « innover de manière originale ».  Sa créativité stimulée par les prochaines présidentielles, François-Régis Motte, un des administrateurs du groupe et directeur du développement chez Castorama, se lance dans le financement occulte du parti gaulliste.  Et se retrouve en détention préventive à la maison d’arrêt de Metz-Queuleu en mars 1988. 

Le système de fausses factures pour lequel M. Motte a été inculpé était géré par André Gusaï, entrepreneur en maçonnerie de Toul.  Ce dernier avait un besoin pressant d’argent pour apporter une « assistance administrative » au groupe de M. Motte, suite au refus de la Commission départementale d’urbanisme et de commerce (CDUC) de Meurthe-et-Moselle d’approuver un projet d’extension de la surface du Castorama de Vandoeuvre.  Grâce à l’intervention de M. Gusaï, la CDUC a choisi de changer d’avis.

Devant le juge Gilbert Thiel, André Gusaï s’est vite avéré être collecteur de fonds du RPR.  Penchant dangereusement à droite, l’humble artisan laisse paraître un profil tout vescovalien.  Membre du Club 89, haut lieu foccarto-chiraquien, il est responsable départemental du Service d’ordre républicain (SOR) – service des gorilles du SAC puis du RPR – dont le patron est Claude Dupont, ancien officier au 1er REP et capitaine de l’OAS (dix ans de tôle, amnistié après cinq).  Lors de ses aveux, Gusaï évoque une transaction avec Castorama courant 1987, où il était beaucoup question du trésorier du RPR et ancien ministre de la Coopération Robert Galley. 

Arrive la fin de la première cohabitation et Vescovali est nommé responsable du RPR dans la troisième circonscription du Var.  Mission : redorer l’image de la droite dans le « Var-West » spécialement du côté, lamentable, d’Hyères.  Le maire (div. d.) Léopold Ritondale y pose problème.  Sa cité des palmiers fait trop souvent la une.  Règlements de comptes par balles ou explosifs ; une mairie, jouant aux RG, qui s’offre un fichier des administrés ; sale histoire des flics videurs de parcmètres ; fausses factures ; casino trouble.  Au deuxième tour des législatives de 1988, M. le maire accepte de ne pas se présenter, mais aux municipales de mars 1989 il n’en est pas question.  Il refuse catégoriquement d’

entendre les appels à la raison de la droite, tout particulièrement du RPR, fortement représenté [à Hyères] par M. Dominique Vescovali, conseiller du treizième arrondissement de Paris, proche de MM. Chirac et Pasqua. […] Cette fois-ci, M. Ritondale refuse d’obtempérer et s’en va en guerre sans investiture. (Le Monde, 08/02/89) 

Et il gagne.  Le matin du 26 mars 1991, à 70 ans, il est toujours en guerre contre le même RPR, encore aussi fortement représenté sur place par le Magicien, quand il est accueilli à la sortie de chez lui à coup de manches de pioches par deux individus portant des masques de carnaval.  Ils ne seront jamais identifiés.

Autre ennemi de Vescovali dans le Var : le savoureux Jo Sercia, vice-président du conseil général, qui sera écroué en 1995 pour recel d’abus de confiance et trafic d’influence aggravé en qualité d’élu, et encore en 1996 pour complicité de voie de fait avec armes.  En mai 1988, essayant les habits de Monsieur Propre, Vescovali le fait virer du RPR.  Cinq ans plus tard, faisant fi des états-majors parisiens, Sercia se présente aux législatives contre la sortante – investie, elle – une certaine Yann Piat.  Le Magicien est conseiller de la députée rescapée du FN, assassinée le 25 février 1994.  

Grâce à l’affaire Piat, le nom de Vescovali a été connu du grand public pour une semaine ou deux.  Jo Sercia a été tout de suite – et pour longtemps – soupçonné d’être le commanditaire du meurtre, soupçon surtout vif chez la famille et les proches de la victime.  Mais il ne sera jamais formellement mis en cause par l’instruction.  Au procès, Vescovali ne se prive pas de le pointer du doigt.  Cité en tant que simple témoin, Sercia profite de l’occasion pour régler quelques comptes personnels.  Ses propos ont été relatés dans trois versions légèrement différentes :

« Ce monsieur a débarqué un beau jour dans le Var […] avec des gens de l’OAS. Il m’a fait virer du RPR pour prendre ma place. Il a chamboulé tout le département et, aujourd’hui, il continue à me salir ». [Le Monde, 14/5/98]

« Ce cocorico, en 1989, il avait tout l’OAS autour de lui ». [Sud Ouest, 14/05/98]

« [Ce cocorico] est venu semer le trouble dans la circonscription […] entouré de porte-flingues et de gens de l'OAS ». [La Provence, 14/05/98]

Seul bémol, en effet, aux excellents prêches de Vescovali à la barre (« Dans le Var, on parle de tuer, d’éliminer, du même ton que l’on commande un pastis » (Libération, 13/05/98)) c’est que le prédicateur en question était trop bien placé pour les prononcer.  Révélés par France-Soir en juin 1994, des liens existaient entre Vescovali et la famille mafieuse Perletto, proche du parrain Francis le Belge.  La famille connaissait aussi le préfet du Var, Jean-Charles Marchiani.

Un mois après le meurtre de Yann Piat, Vescovali prend contact avec le commissaire Marc Pasotti, directeur du SRPJ de Marseille ; il lui balance la bande du « Macama », rivale des Perletto.  Ces derniers venaient de lui offrir cette information lors d’un tête-à-tête… en échange de la libération d’un des leurs, le charmant Franck Perletto (attaque d’un fourgon de la Sécuripost, deux morts).  Pour sceller le deal, le Magicien organise un deuxième rendez-vous à Paris, où sont présents à ses côtés les membres de la famille Perletto et « des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ».  Tout cela à l’insu du juge d’instruction.

En 1996, ne se sachant pas sur écoute, Pasotti s’épanche à propos de ce marché auprès d’un magistrat de Toulon, le juge Jean-Luc Tournier.  Celui-ci enquêtait alors sur les menaces physiques dont faisait l’objet Albert Lévy, substitut du procureur de la République de Toulon, du fait de sa trop grande curiosité dans le dossier.  Quand, à la barre, le Magicien nie avoir joué tout rôle d’intermédiaire, Lévy rapporte les propos qu’il venait de lui tenir ainsi qu’à Tournier :

« Si au nom de l’intérêt supérieur de la France, j’avais fait cela […] je ne vous le dirais pas. Mais si l’intérêt de la France était en jeu, je l’aurais fait sans réfléchir ». (Le Figaro, 19/05/98) 

Quelques années plus tard, on le sait, un autre juge entendra ce même serment anti-dreyfusard de la bouche de Jean-Charles Marchiani.

Ce n’est pas une coïncidence si ce dernier n’appréciait guère le brave Albert Lévy.  En un temps record, une note interne du 4 mars 1996 rédigée par le substitut du procureur à sa hiérarchie sur le copinage Vescovali – Perletto arrive sur le bureau de celui que Nicolas Beau appelle « le préfet Boum-Boum ».  Ce fonctionnaire menace l’emmerdeur d’une mutation prochaine « dans l’intérêt du service et pour garantir l’ordre général ».

Rien de surprenant non plus à ce que l’antagoniste de Vescovali et de Marchiani se trouve ensuite attaqué par les amis d’Omar Bongo.  Le spirituel Alain Terrail, avocat général à la Cour de Cassation, fait la une (par sa déclaration « Tant va Lévy au four qu’à la fin il se brûle ») au même moment que Georges Fenech, chef bongophile de l’Association professionnelle des magistrats (APM), dont Terrail est adhérent.  Egalement président de la soi-disant Association internationale pour la démocratie, Fenech s’occupe de la surveillance des élections gabonaises truquées de décembre 1998.

Ce magistrat était un familier du treizième arrondissement de Paris, là où notre tour du monde à la Vescovali a commencé.  Pour son exercice gabonais, qui a excédé même Le Monde, Fenech disposait de l’aide non seulement de Robert Bourgi, avocat de Mobutu et marabout des affaires africaines à l’Elysée, mais surtout de celle du maire d’arrondissement Jacques Toubon, ancien patron affairé du Magicien.  Fraîchement démissionnaire de son poste de conseiller à l’Elysée mais toujours président du Club 89, l’ancien ministre se serait rendu à Libreville le 6 novembre 1998.  Le terrain avait été balisé quelques mois plus tôt :

[…] Au début de l’été, un familier des dossiers africains avait été interpellé par les douaniers à son retour de Libreville, à l’aéroport de Roissy. Porteur d’une mallette contenant une très importante somme en argent liquide, il avait expliqué que ces fonds provenaient de la « présidence du Gabon », et qu’ils étaient destinés au Club 89. Confirmée par plusieurs sources, cette information a été démentie par l’intéressé lorsque celui-ci a été interrogé par Le Monde. A la suite d’un accord intervenu au sommet de l’Etat, cette interpellation n’a entraîné l’ouverture d’aucune enquête. [Le Monde, 09/12/98]

*

Uncertain way of gain, but I am in so far in blood that sin will pluck on sin.

Richard III, Acte IV, scène 2

C’est au pays de Bongo, justement, que commence l’histoire du CIAT racontée dans Les Pillards de la forêt.  Plus besoin ici de rappeler en détail le triste épisode de la Société gabonaise d’études nucléaires (Sogaben), dont Luciani devient le directeur en janvier 1988.  Un bref retour s’impose pourtant sur la chronologie exacte d’événements et sur un ou deux éléments du dramatis personae.

En décembre 1984, Toussaint Luciani fait main basse sur le Comptoir des Rougier.  Conseiller général en Corse-du-Sud, il est le cousin de Robert Feliciaggi, l’ami de longue date d’André Tarallo et le futur patron d’Elf-Corse (1987-88).  Depuis le début des années 80 il est aussi, avec son frère Antoine, objet de l’intérêt du Groupe des enquêtes réservées de la préfecture de police à Paris. 

Avec un tel profil, il est donc le candidat idéal pour monter un centre de stockage de déchets nucléaires au Gabon.  Pour réaliser le rêve le plus cher, voire le plus fou, de Bongo, il se met aux ordres de Jacques Foccart et de l’ex-président d’Elf et ancien patron de la Cogema, Michel Pecqueur.  L’idée de faire de son royaume une puissance nucléaire semble être venue au kleptocrate gabonais bien avant toute cohabitation.  Une délégation de la Société française d’études et de réalisations nucléaires (Sofratom) se rend à Libreville le 29 juin 1983.  Avec l’amour pour la transparence que l’on sait, ces ingénieurs présentent à la presse l’ébauche d’un projet de centrale nucléaire gabonaise.  On est trois mois après la création du CIAT.   

Mais c’était bien sûr Chirac premier ministre le vrai espoir des promoteurs de cet avenir radieux.  Foccart, Luciani, Pecqueur, Bongo : ils montrent tous un très grand empressement à conclure avant les élections présidentielles de 1988.  Chirac rencontre Foccart pour donner son feu vert courant janvier 1988.  Le 28 janvier, Bongo sort une première ordonnance accordant à la Sogaben « le monopole du stockage du combustible nucléaire ».  Une deuxième ordonnance suit le 8 avril, soit deux mois avant l’annihilation du candidat RPR aux présidentielles.  L’échec de la Sogaben, jamais très élucidé, ne doit strictement rien à Chirac Superécolo.

Tous les administrateurs de la Sogaben sans exception referont surface plus loin dans la saga du CIAT.  Aux côtés de Luciani, en tête d’affiche, Pascaline Bongo, fille d’El Hadj Omar.  On y trouve aussi le plus proche partenaire de Luciani, Noël Pantalacci, gérant de la SED, qu’ils ont créée ensemble début 1985.  Jacques Bonnefoy, le quatrième administrateur, se fait un nom au moment du montage en tant que directeur de la loterie nationale de Djibouti, pays alors en plein nettoyage ethnique.

L’accent gaulliste de la mauvaise plaisanterie Sogaben a trop souvent été négligé par le passé.  Une honte, à la mesure de l’oubli dont souffre son cinquième administrateur, Bernard Furth.  Aujourd’hui actif dans le charbon et l’or canadien, en passant par l’uranium de Robert Mugabe, cet amateur de la nature adore aussi la politique.  Il est l’ancien secrétaire général du Mouvement initiative et liberté (MIL).  Nous revoilà parmi les costards bruns qu’affectionnait tant Vescovali.

Créé, comme SDL, à la mort du SAC, le MIL se voulait un « mouvement de réflexion ».  Les penseurs Foccart, Messmer et le général de Boissieu comptaient parmi ses éminences grises.  Très actif lors des présidentielles et législatives de 1988, le MIL fantasmait sur une Anti-France vecteur de trois idéologies rouges :

L’écologisme […] une entrave à l’esprit d’initiative et au développement de certaines idées ;

L’antiracisme […] un instrument de désagrégation qui aboutit à détruire la nation ;

Le tiers mondisme mélange confus et pervers de sentimentalisme et de politique mondialiste [qui] vise à culpabiliser l’Occident et les pays développés présentés comme des exploiteurs cyniques des pays pauvres. En France la mauvaise conscience qui en résulte et qui est systématiquement cultivée empêche de regarder en face les dangers de l’immigration et prendre des mesures nécessaires pour le combattre.

Des dangers qui posent « une menace mortelle pour l’identité nationale ». 

Il fallut attendre 2004 pour que la France bien-pensante toute entière se réveille à propos du MIL.  Avec stupeur, et avec une indignation qu’on a cru enterrée peu après le 21 avril 2002, elle a appris que le MIL existait toujours.  Et qu’il posait, lui, deux menaces mortelles : une pour les deux journalistes français otages en Iraq, et, ce faisant, une autre pour ce que Ségolène Royal appelait la « dignité » de la France.  La presse a pu identifier, comme pied-nickelé en chef de l’historique mission Julia, un des derniers animateurs du MIL, Gérard Daury.  Le bon professeur Philippe Evano, également du MIL, a aussi été cité, sans que son projet de monter une « fondation pour l’environnement » pour Omar Bongo soit perçu comme portant atteinte outre mesure à la même dignité.  Pour ce qui est de Philippe Brett, vendeur d’armes à Bongo et patron d’une association pro-Saddam basée dans le bâtiment où se trouve Demain la France, nous n’avons strictement rien à signaler.  Aux grands hommes, la patrie reconnaissante.

Si le nom de Bernard Furth a été injustement négligé dans les versions consacrées de l’affaire Sogaben, celui de Luciano Spada n’a, jusqu’ici, jamais apparu de tout.  Absent du tour de table franco-gabonais, il était un spécialiste notoire des déchets.  Et il connaissait très bien Toussaint Luciani – pour avoir travaillé ensemble, pendant la période qui nous intéresse, au Congo-Brazzaville.  C’est Toussaint Luciani lui-même qui le dit, aux journalistes, en 1988.

Le plan de Spada d’enfouir deux millions de tonnes de déchets toxiques européens et américains dans le sol congolais (avec 74 millions de dollars à la clef pour Sassou I) a reçu un tapage médiatique tout à fait respectable au moment des faits.  Dès lors, cette dyslexie qui frappe tout examen du dossier Luciani bloque le rapprochement qui pourtant s’impose : l’affaire de la Bauwerk A.G. paraît bien marquée par son expertise.

Pour être non radioactifs, les déchets devant être livrés par cette société-écran basée au Liechtenstein n’étaient pas pour autant plus appétissants que ceux de la Sogaben.  Le contrat entre Spada et Jean Passi, représentant de la Congolaise de récupération de déchets industriels (CRDI), portait entre autres sur des :

rebuts d’huiles, […] dérivés de dissolvants non pompables, […] dérivés de solvants (benzène, […]), […] sous-produits organiques-chimiques, goudron, […] rebuts contenants des antiparasitaires, […] poisons pour souris et rats, semence désinfectantes avec mercure, […] vieux acides mordants, […] ammoniaque liquide, bains alcalins de graissage contenant cyanure, […] autres rebuts par exemple rebuts contenants l’iso-cyanure (MDI et TDI), […] reste médicinal, résidus d’acide, rebuts de laboratoire en petit conditionnement, […] batteries à mercure, […] rebuts à composition inconnue […].

Hasard du calendrier, ce contrat est signé à Pointe-Noire le 18 janvier 1988, l’ordonnance créant la Sogaben, à Libreville, le 28 janvier 1988.  Hasard du même calendrier, le projet congolais capote le 27 mai 1988 grâce à une mauvaise presse en Hollande, le projet gabonais le 8 mai grâce au départ de Chirac de Matignon (pour être définitivement enterré en juillet – le projet s’entend – par Le Canard Enchaîné).

Il serait tout à fait instructif de savoir sur quels autres projets l’homme de Rougier aurait eu l’opportunité de collaborer avec Luciano Spada.  Un récent livre italien nous aide à en imaginer quelques-uns, ainsi que le genre de commissions qui auraient pu passer par les locaux du groupe Rougier à l’époque.  Ilaria Alpi : Un homicide au carrefour des trafics (Baldini & Castoldi, 2002) de Barbara Carazollo, Alberto Chiara, et Luciano Scalettari enquête sur la mort de la journaliste éponyme, assassinée en Somalie en 1994.  Le trafic pour lequel elle s’était montrée trop gourmande d’infos était celui de déchets toxiques en provenance de la mafia italienne et à destination de l’Afrique.  Un repenti du nom de Gianpiero Sebri a accepté de parler aux auteurs :

Une fois j’ai assisté à une opération de chargement d’armes et de déchets toxiques. Nous étions dans le port de Hambourg, il y avait avec moi un certain Licata, que Luciano Spada a pu décrire comme un homme puissant et lié au clan mafieux de la « famille » Fidanzati. Il y avait six ou sept conteneurs, qui avaient été transportés par des camions avec des plaques d’immatriculation américaines [!]. Des armes et des substances extrêmement dangereuses ont été chargées sur trois bateaux. Plus tard, Spada me spécifia qu’il s’agissait de substances radioactives.

Autre témoin haut en couleurs, Nicolas Bizzio est un riche trafiquant italo-américain et résident monégasque, qui dispose d’au moins une villa en Corse du Sud.  Lui aussi connaît Spada.

Savez-vous combien d’argent on gagne dans des affaires pareilles ? Chaque bateau, selon sa cargaison, peut valoir jusqu’à 50 millions de dollars de bénéfice net. En réalité, j’ai participé à une seule opération, et en pleine légalité : c’était en 1984. Spada s’était rendu en Amérique et avait obtenu le permis de décharger en Guinée les déchets du décapage des navires de la marine militaire US. Mais l’affaire ne se fit pas à cause des protestations des « Verts » européens. Il s’agissait de 50 bateaux de 20 000 tonnes. Il y avait 650 millions de dollars de bénéfices, si l’opération avait pu se conclure.

Mais il serait faux de penser que dans les années Sogaben Toussaint Luciani s’entourait uniquement des membres de la pègre.  Il fréquentait aussi barbouzes d’Elf et escrocs chiraquiens. 

Dans la première catégorie, Pierre Graziani tenait une, si ce n’était la, place d’honneur.  Pote de Bongo, il aurait été un grand connaisseur de la Provision pour investissements diversifiés (PID) d’Elf Gabon, le fameux portefeuille développement du groupe, à la comptabilité avant-gardiste.  Pour Graziani, casé à la fondation Elf, le sale trafic de déchets toxiques n’aurait pas eu beaucoup d’intérêt.  Son truc à lui, c’était le trafic d’art africain.  Que du propre.

En automne 1996, la Tour Elf le dépêche à Libreville pour prendre la température au Congo voisin.  Avec la réussite des Cobras en 1997 l’intérêt du « chargé de mission pour l’Afrique » envers le Congo va en grandissant.  Dès que les armes se sont tues, il intègre la petite équipe de Philippe Jaffré, en visite à Brazzaville en ruines, pour féliciter l’heureux Sassou.  Deux semaines plus tard, c’est encore lui – collectionneur, et même peintre – qui accompagne l’avion que dépêche Jaffré en catimini à Pointe-Noire pour exfiltrer deux méchants lissoubistes, français en l’occurrence, enlevés par le nouveau régime.

Fin 2003, Graziani s’expose à Paris.  Ses peintures, bien entendu : des pastels un peu flous, accrochés dans la Chapelle de la Sorbonne, pour une expo joliment appelée « Sahara, des dunes célestes aux forêts nuages ».  Prions.

Le nom de François Musso se trouverait vers le haut de la deuxième liste d’amis de Luciani à la fin des années 80, celle qui dans notre récit commence à s’allonger : celle des voyous chiraquiens.  Sa nomination en 1994 comme chargé de mission auprès du maire de Paris a pu avoir des relents, pour les narines sensibles, de renvoi d’ascenseur.  Député européen RPR et vice-président du parlement européen pendant l’ère Sogaben, Musso commence à détourner des aides publiques agricoles en Corse peu de temps après.  Son cas a particulièrement impressionné les auteurs d’un rapport de l’Inspection générale des finances rédigé en 1998.  Ceux-ci n’ont permis la fuite que d’une version tronquée de leur texte, qui est aujourd’hui logé dans un des coffres forts le moins visité de Bercy :

[L]e dossier [Musso] apporte des illustrations à toutes les anomalies décelées par la mission : Il est bénéficiaire de prêts agricoles alors qu’il n’assume plus les fonctions d’exploitant agricole, plusieurs de ses prêts ne sont pas justifiés, certains prêts sont détournés de leur objet, ses déclarations sont incohérentes, il a bénéficié de consolidations irrégulières, l’apurement de sa dette est factice, etc.

Dans le cas précis de ce proche de Chirac, la question qui se pose n’est pas tant ce qu’il a fait d’illégal, mais plutôt ce qu’il n’a pas fait d’illégal.  On classe dans cette première rubrique ce qu’il a fait pour Toussaint Luciani et son frère Antoine :

Musso a bénéficié d’un prêt de 1,4 MF supposé servir à l’acquisition d’un appartement selon un compromis de vente. Cette acquisition n’a jamais été réalisée. Ce prêt a en réalité servi à faire assurer une opération de portage au profit de MM. Antoine et Toussaint Luciani.

Le justiciable a au moins fait preuve d’un excellent sens de l’humour.  Selon Libération,

François Musso a légèrement agacé les inspecteurs. Notamment lorsque, pour justifier un prêt de 2,3 millions de francs en juillet 1992, il leur a trouvé des factures de travaux de dix ans plus vieilles que le prêt… [21/07/98]

Une partie du prêt en question a été détourné vers la SCI Pantalacci, une des nombreuses sociétés-écrans de Noël Pantalacci, l’entrepreneur et conseiller territorial de la Corse que nous avons déjà observé au conseil d’administration de la Sogaben, ainsi qu’à la tête de la SED.  Il est somme toute curieux qu’en juillet 1992, la SED ait éprouvé le besoin de s’accaparer tant d’argent d’une façon aussi discutable.  Après tout, ce même été, la Caisse française de développement s’apprêtait à faire don de 230 millions de FCFA à l’un des filons d’or de la SED, et jouets préférés d’Elf, Agricongo. 

Mais, une fois encore, on anticipe.

*

Il y a deux ans nous écrivions : « Mais si Toussaint Luciani est bien destiné à la célébrité, c’est probablement l’affaire d’Annemasse qui l’y propulsera ».  En l’absence depuis deux ans de toute mise en cause de Toussaint Luciani dans l’affaire d’Annemasse nous pouvons affirmer : si Toussaint Luciani est bien destiné à la célébrité, c’est probablement l’affaire d’Annemasse qui l’y propulsera. 

Sur Annemasse, il y a du nouveau.  Ou plutôt, il y en avait voilà dix-sept ans.

Grâce aux recherches de Philippe Courroye et de son collègue monégasque Jean-Christophe Hullin, personne n’ignore aujourd’hui que la campagne du RPF aux élections européennes de 1999 a bénéficié d’un concours de 1,15 million d’euros de la jeune directrice du PMU gabonais, Marthe Mondoloni.  La somme serait provenue des 15 millions d’euros qu’a encaissés Robert Feliciaggi en 1995, lors de la revente de son casino savoyard, établissement qui a ouvert ses portes grâce aux autorisations signées tonton Charles en 1994.  Le geste du ministre avait fait fi de trois avis négatifs émis depuis 1991 par la Commission supérieure des jeux. 

Quand l’affaire d’Annemasse éclate, les médias soulignent la rapidité avec laquelle Pasqua est venu dépanner son ami.  Ils l’associent à celle avec laquelle le casinotier corse a ensuite mis son entreprise en vente.

La SCI de l’Arve à l’origine d’Annemasse a vu le jour bien avant la deuxième cohabitation.  Plus précisément, elle est née en pleine première cohabitation, le 12 décembre 1987.  Deux de ses cofondateurs – Jacques Bonnefoy et Bernard Furth – se réuniraient un mois plus tard au tour de la table de la Sogaben.  Le troisième, Raymond Centelles, est simple pêcheur… au Congo-Brazzaville.   

Mais c’est Toussaint Luciani, non-associé de la SCI de l’Arve, qui se charge des démarches auprès du maire socialiste d’Annemasse, Robert Borrel.[2]  Sa mémoire mise à l’épreuve par Le Figaro en 2001, celui-ci confirme :

« A l’époque […] on ne parlait pas de Robert Feliciaggi. Le projet fut d’abord mis en œuvre par Toussaint Luciani […]. Fin 1993 […] Toussaint Luciani est venu avec Robert Feliciaggi, qu’il m’a présenté comme un industriel français exploitant des bois tropicaux au Gabon, en précisant qu’il allait reprendre l’affaire ». [06/03/01]

A cette époque lointaine, il semble que la profession d’exploitant de bois tropicaux au Gabon fût quelque chose de recommandable.

Mais d’où venait cette idée géniale de Toussaint Luciani, qui se présente lui-même à une conférence de presse à Annemasse le 21 octobre 1988, comme « coopérant technique au Gabon », d’où venait ce coup de génie de faire passer Feliciaggi pour un forestier ?  Suivons l’ordre chronologique.

Le 25 janvier 1990 une note des RG sur le blanchiment d’argent au casino de Bandol parle d’un chèque de 5,97 millions de FF passé par la Banque internationale du Congo.  Les noms de Luciani et Feliciaggi sont évoqués.  Les frères Michel et Jean-Baptiste Tomi, détenteurs de Bandol, seront condamnés à un an de prison pour blanchiment en 1996.

En juillet 1992 la DGSE, sous influence chiraquienne, fait circuler une note avertissant qui de droit des agissements en Afrique centrale de l’ex-ami Pasqua : sont cités Daniel Leandri, Alfred Sirven, Jules Filippeddu, Jean-Pierre Tosi, Robert Feliciaggi et, last but not least, les frères Toussaint et Antoine Luciani.  Les infos sont reprises par la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) dans une salve sans fioritures du 6 mars 1994, dénonçant au ministre de l’Intérieur la candidature annemassienne de Feliciaggi et Cie..  Deux semaines plus tard, le 21 mars 1994, ce ministre octroie à la Société du Grand casino d’Annemasse (SGCA), que pilote la SCI de l’Arve, « l’autorisation d’exploiter les jeux de hasard consistant dans la roulette française, la roulette anglaise et le black jack ».

Le 5 avril 1994 Feliciaggi, son fils Jean-Jérôme et le lieutenant de Luciani, Daniel Romo (actionnaire du CIAT 1984-99) rachètent les dernières parts leur manquant de la SCI de l’Arve.  Certes, le geste n’est que symbolique ; en avril 1992 le cache-sexe du clan a déjà connu un premier nettoyage, délogeant un Rocca-Serra et des Perez, Monsieur et Madame (voir ci-dessous) ; Jacques Bonnefoy, lui, avait été invité à décamper en octobre 1991.

Mais pour nous ce petit réaménagement – tout comme la remise des 337 500 FF en espèces par laquelle il a été finalisé le 29 avril 1994 – revêt une importance capitale.  La mainmise des Feliciaggi sur Annemasse s’est effectuée dans les locaux de Rougier. (document n°2)

Et pourquoi pas ?  Jusqu’en 1991, la SCI de l’Arve y a été domiciliée.

A deux pas du QG des Feliciaggi rue de la Trémoille, les bureaux Rougier sont sans doute beaucoup plus conviviaux pour les conversations qu’ils ne veulent pas imaginer sur écoute.

Quittons l’ordre chronologique, pour noter deux dates marquantes dans l’histoire de l’utilisation des bureaux Rougier à des fins mafieuses.  C’est chez les Niortais que, le 2 octobre 1991, entrent dans le capital de la SCI de l’Arve le truand Francis Perez et sa femme Françoise.  Selon le « blanc » dit « rapport Matignon » :

[…] Les FELICIAGGI-LUCIANI-FILIPPEDDU utilisent depuis au moins 1988 le nommé PEREZ Francis, né le 27/11/1962 à Oran et demeurant actuellement résidence Clair Azur, chemin de Saint Clair à Sète. Cet individu a vécu au Portugal puis au Brésil où il a monté une société de machines à sous avant de revenir en France en 1988 lorsque celles-ci ont de nouveau été autorisées. C’est à cette époque que les Corses en ont fait le PDG de la société du casino du Grand Sud […]. Sur commission rogatoire du juge d’instruction VOGLIMACCI de Montpellier, PEREZ sera interpellé par le SRPJ le 26 mai 1993 pour escroqueries, abus de biens sociaux et autres dans le cadre de ces affaires. […]

Nous pardonnons aux flics d’avoir oublié la carte de séjour camerounaise délivrée au tout jeune Perez à Yaoundé le 26 juin 1982.  Un peu moins leur oubli de sa création de la Société des grands casinos du Cameroun le 19 avril 1991 – soit quelques mois seulement avant son passage chez les Rougier. 

Les services repèrent Perez au milieu des années 90 à Djibouti, puis en 1997 au Togo au sein de l’entreprise Lydia Ludic, la même année en Centrafrique à la table du Royal Flush Casino, et finalement en 2001 chez Laurent Gbagbo.  Mais c’est tout particulièrement ses activités au Brésil qui les intéressent.

Son association dans ce pays avec FILIPPEDDU Julien serait connue de tous. […] Dans une note du 20/12/1999, l’officier de liaison stups au Brésil fait le point sur la bande LAURICELLA […], FILIPPEDDU […] et autres, à partir des investigations menées en Italie par le service anti-mafia, aux USA et au Nicaragua par le FBI et l’OCRTIS, et au Brésil par lui-même et la police fédérale […]. On y parle machines à sous, blanchiment d’argent, trafics d’armes et de cocaïne entre l’Italie, la France, l’Espagne, le Portugal, le Brésil et des pays d’Amérique Centrale, les USA, la Belgique, les Pays-Bas, la Grande Bretagne, la Suisse, l’Autriche et Andorre.

Manifestement, la plaque commémorative que nous préparons pour le 75 av. des Champs-Elysées ne risque pas de ravir tous ses locataires.  Complétons-la. 

Ici, le 15 décembre 1991, a eu lieu la signature du contrat de location à la SGCA du modeste bâtiment qu’ont édifié les Feliciaggi à Annemasse (659 m2), comme gage du sérieux de leurs intentions.  Notons qu’à l’heure de la signature du bail, la SGCA est contrôlée intégralement par les hommes-liges de Feliciaggi, ainsi que par les Feliciaggi eux-mêmes, et ce depuis trois jours.  Le président du conseil d’administration, Robert Azoulay, en détient 30% à travers sa société Conseil, stratégie et développement. 

L’amitié entre Azoulay, son frère Jacques, et les Feliciaggi a très peu nuit à la rentabilité des affaires des premiers.  Jouissant d’un chiffre d’affaires de 220 millions d’euros, leur société Katopé International de Rungis, avec ses filiales en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en Afrique du Sud, domine l’importation des fruits exotiques en France.  A travers le groupe Pargest, ils sont aussi actifs dans l’hôtellerie « très économique, zéro et une étoile ».

Il se peut que la fin de l’histoire d’Annemasse ait eu lieu elle aussi chez les Rougier.  La cession, le 31 mars 1995, à Jean-Claude Aaron de 51% de la SGCA s’est produite « à Paris » (document n°3) bien que le siège de la SCI de l’Arve se trouvait à cette date en Haute-Savoie.  Signé, en effet, juste avant l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République, le contrat comportait une « condition résolutoire » :

La présente cession […] est conclue sous la condition […] que […] le Ministère de l’intérieur n’ait pas révoqué dans un délai de TROIS (3) mois […] l’autorisation d’exploiter les jeux de hasard […] délivrée à la [SGCA] […] par arrêté de Monsieur le Ministre de l’intérieur du 21 Mars 1994.

*

Acte I : Libreville, printemps 1988.  La pantalonnade Sogaben.  Acte II : Annemasse, automne 1988.  Le retournement de la SCI de l’Arve.  Acte III : Courbevoie, été 1989.  L’entrée en scène, à la tête d’Elf, de Loïk Le Floch-Prigent. 

C’est sous le règne de Le Floch, rappelons-le, qu’avec l’aide de Sirven et Leandri, Pasqua arrive à asseoir, tel un parasite, un petit réseau pétrolier personnel au sein de ceux, plutôt chiraquiens, sous la tutelle de Tarallo. Toussaint Luciani a un pied planté solidement dans chaque camp.

Le 29 novembre 1990, date historique.  Rougier Gabon rachète une société dont il est déjà depuis quelques temps actionnaire.  Elle s’appelle la Société gabonaise de… forage (GAFOR). (document n°4)

Cette transaction, qui rapporte une prime de fusion de 304 316 630 FCFA, témoigne d’une certaine proximité de la famille forestière et du milieu pétrolier.  D’autant plus que la GAFOR était une filiale d’Elf Gabon.

Nous nous trouvons dans l’impossibilité d’éclaircir la logique de cette OPA du point de vue forestier.  Pour toute information sur sa rationalité du point de vue pétrolier, voir, éventuellement, Serge Gstalder, ancien administrateur de la GAFOR aujourd’hui en fin de carrière.  Après 30 ans à Elf recherche et développement (forage et développement marins), il est actuellement animateur du cabinet conseil Média pétrole.  En 1997, avec George Château (30 ans chez Elf) et Jacques Marie (27 ans chez Shell), il lance « Planet Petroleum ».  Impossible de confondre avec celui d’Hollywood, ce « concept innovant de formation multidisciplinaire » est proposé aux petits comme aux grands « pour intégrer et mettre en pratique techniques et stratégies de l’Exploration-Production pétrolières ». 

Autre actionnaire de la GAFOR, avec l’Etat gabonais : le géant du sondage minier FORACO.  Basé à Marseille, il est réputé pour ses aventures récentes au Tchad, au Nord Soudan, en Libye, au Togo, en Mauritanie, ou encore sur la frontière libérienne de la Côte d’Ivoire.  Sa « cellule Afrique » ne bosse que pour des exploitants d’une sensibilité accrue en matière de développement durable : De Beers, Randgold, Occidental Gold, Ashanti Goldfields.

Elle est moins connue pour avoir creusé 200 sondages dans la forêt gabonaise autour de Mabounié en 1992 et 1993, en quête de niobium.  Ces travaux n’auraient pas été sans intérêt pour Elf.  Découvert en 1986, quand Rougier est encore simple actionnaire de la GAFOR, le filon donne naissance en 1992 à la Société minière du Moyen-Ogooué (SOMIMO) dont Elf-Gabon détient 23%.  On notera que le niobium est utilisé principalement dans la production des alliages pour aciers à très haute résistance, ceux qu’on trouve dans les avions, les fusées, les pipelines, et surtout le nucléaire.

Déficients que nous sommes en connaissances sylvicoles assez profondes pour expliquer le rachat de la GAFOR, nous nous limiterons à un bref rappel du contexte historique dans lequel il est intervenu.  Entre le 15 et le 20 janvier 1990 une grève des étudiants de l’Université Omar Bongo dégénère en pillage urbain.  Le siège de Rougier à Libreville est parmi les premières cibles à être saccagées.  Le 23 mars, en France, Rougier créé la Société de participations africaines (SPAF), déposant son capital social à la discrète Banque industrielle et commerciale du Marais (aujourd’hui Banque Vernes Artesia). 

Pour le palais du bord de mer, le printemps 1990 est fort désagréable.  Le 23 mai, des émeutes éclatent un peu partout, après la mort suspecte de l’opposant Joseph Rendjambé à Port-Gentil.  Dix expatriés sont pris en otage – dont sept Français travaillant pour Elf-Gabon, ainsi que le consul de France du coin.  Des éléments du 2ème REP et du 2ème REI sont dépêchés de Calvi et de Nîmes.  Les otages sont relâchés.  Un couvre-feu est instauré.  1 800 étrangers sont évacués.  Le 9 juillet, Pasqua rend visite à Bongo.  Le 10 juillet, Le Floch-Prigent rend visite à Bongo.  Le 21 et 28 octobre se tiennent des élections présidentielles, à la gabonaise.  Le 27 novembre est formé un gouvernement d’unité nationale, du même style.  Le 29 novembre Rougier Gabon rachète la GAFOR.

Sur les Champs-Elysées, on fête un joyeux Noël.  Le 27 décembre les Rougier déposent les statuts d’une minuscule société en nom collectif.  La bien-nommée « Euro-Gabon Services » (EGS) s’installe à Aubervilliers.  Sa gérante, Nathalie Auguin, est jeune, c'est-à-dire 25 ans, et quelqu’un de sûr – c'est-à-dire la fille de Jacques Rougier.  Dotée d’un capital de 25 000 FF, EGS se consacre à « La réalisation d’affaires commerciales de toutes natures permettant de répondre aux besoins des sociétés étrangères, en matières, matériel, ingénierie, personnel et services ».  Voilà qui a au moins le mérite de ne pas être clair.  A l’heure de son trépas, sept ans plus tard, EGS dispose d’un actif net de 106 253 FF.

*

Et ayant entendu dire, ou plus probablement lu quelque part, du temps où je croyais avoir intérêt à m’instruire, ou à me divertir, ou à m’abrutir, ou à tuer le temps, qu’en croyant aller tout droit devant soi, dans la forêt, on ne fait en réalité que tourner en rond, je faisais de mon mieux pour tourner en rond, espérant aller ainsi droit devant moi.

Samuel Beckett, Molloy

Retour au point de départ de notre promenade : devant la belle façade de la Société d’études pour le développement (SED).  C’est derrière la porte de la SED, on se le rappelle, qu’en 2001 sont découverts, pêle-mêle, tampons consulaires gabonais, condamnés corses, et une forte odeur de Grasse. 

Pendant plus de sept ans cette porte, nous l’avons dit, était la porte des Rougier.  Oeuvre à part entière de l’amitié niortaise, la SED voit le jour le 28 janvier 1985, quelques semaines seulement après l’OPA de Luciani sur le CIAT.  Le 14 mai 1992, son siège est officiellement transféré du 75 av. des Champs-Elysées au 34 rue des Bourdonnais, dans le premier arrondissement.  Mais elle dispose déjà de locaux plus luxueux au 26 rue de la Trémoille, qui deviendra sa dernière adresse « légale » le 20 juillet 2000.  Et elle n’oublie nullement son pied à terre du côté du Fouquet’s.

C’est une excellente chose de savoir ce que c’était la SED – la plaque tournante parisienne des valises corses à destination des « décideurs africains ».  Mais savoir ce qu’elle faisait semblant d’être n’est pas pour autant sans intérêt.  La couverture a fait de gros efforts.  A commencer par le nom qu’elle se donne.

La « Société d’études pour le développement » : ça ne vous dit pas quelque chose ?  Noël Pantalacci n’a pas dû chercher loin.  Durant toutes les années 80 il travaille au Congo pour le plus grand cabinet-conseil français de la Françafrique, la SEDES/CEGOS.  La CEGOS on connaît.  La SEDES moins.  C’était la « Société d’études pour le développement économique et social ».

Joyeuse mais très endettée bande de consultants des présidences africaines, la SEDES/CEGOS devient la Société française de conseil (SFC) en 1990.  Elle fera faillite quatre ans plus tard, en dépit des meilleurs efforts de ses administrateurs – dont la CCCE (l’ancienne CFD), le ministère de la Coopération, et la Caisse des dépôts développement/C3D (actionnaire majoritaire de la SEDES depuis sa création en 1958).  Ses créances les plus encombrantes sont de facture gabonaise : au pays des Bongo, plus d’une dizaine de consultants bossaient dur sur une large gamme d’éléphants blancs.  En tout, les dettes de la SFC dépassaient de 40 millions de FF son capital.

Le vice-président de la SFC était Yves Cannac, président de la CEGOS (1985-99) et ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée sous Giscard (1974-78).  Sur le tard, il a su se montrer aimable envers la Chiraquie.  Nommé membre du Conseil économique et social par Chirac en septembre 1999 – au titre de « personnalité qualifiée » – l’ancien patron de Noël Pantalacci est aujourd’hui membre du comité éthique de la Fondation pour l’innovation politique de Jérôme Monod.

Le président du directoire de la SFC était François Colas, jusqu’alors directeur de Proparco.  Proparco qui devient administrateur de Rougier Gabon en juin 1993, au moment où il finance, pour 5 millions de FF, une prouesse sobrement intitulée « Projet exploitation forestière Rougier Gabon ».  A l’assemblée générale de Rougier du 24 septembre 1993, le montant des jetons de présence alloués au conseil d’administration élargi pour les deux exercices suivants est fixé à 42 millions de FCFA.

Avec soin, les mafieux de la SED avaient calqué l’objet social de leur entreprise sur celui de la SEDES.  La SED s’est vouée à :

-Réalisation d’études économiques, sociales et administratives et techniques,

-Conseils et prestations de services pour la direction, l’organisation, la gestion, le développement des administrations et des entreprises,

-Coopération technique internationale pour la réalisation de projets de développement,

-La réalisation de toutes opérations de négoce.

Ce goût un rien arriviste pour le trompe-l’oeil s’est montré payant.  Le Centre international pour la recherche agronomique et le développement (CIRAD) a apprécié.  Si la SFC, elle, bénéficiait du concours du CIRAD au grand jour, la SED en faisait autant, de manière moins publique.  Passant en revue les nombreuses personnes morales qui pullulent autour de la SED – « dépendant de la bande et plus ou moins actives en fonction des besoins » – l’utile rapport Matignon s’interrompt pour annoncer, l’air de rien :

S.E.D. serait en affaires avec le CIRAD. […] La S.E.D. doit l’utiliser pour des audits et autres. [document n°5]

Autres quoi?  Dans Pillards, nous avons signalé le copinage, aux frais du contribuable français, entre le CIRAD et le plus développé des paravents d’Elf en matière de développement durable : Agricongo.  Montée en 1986 par Tarallo et les Feliciaggi, avec un peu d’aide de feu Claude Erignac, cette boîte a touché 230 millions FCFA de la CFD en octobre 1992 pour mener à bien un projet de culture du tabac pour la SIAT, filiale de Bolloré.  Le fait qu’Agricongo comptait parmi ses cadres un certain Noël Pantalacci explique sans doute pourquoi le mot « Agricongo » est toujours visible en 2004, pour le visiteur curieux, au 34 rue des Bourdonnais, sur la boîte aux lettres de la défunte SED.[3] 

Reste à savoir pourquoi le siège de la SED a été transféré à cette adresse en mai 1992.  Comme on l’a vu, deux mois plus tard la SCI Pantalacci bénéficie du détournement de 618 000 FF d’aide publique agricole.  Et en octobre 1992 Agricongo reçoit la manne de la CFD. 

Il se peut que les hôtes forestiers de la SED aient commencé a voler de leurs propres ailes.  En janvier 1992 en effet, Francis Rougier crée la Compagnie pour la coopération et le développement (CCD).  Curieux nom pour une société consacrée à « l’activité de marchands de biens, agent immobilier, notamment toutes opérations d’achat de vente de tous biens et droits immobiliers, toutes opérations de gestion et d’administration ».  Son conseil d’administration comprenait l’ancien collabo Henri Berliet et un couple français ayant une domiciliation fiscale à Londres.  La CCD fait faillite en 2000.

*

Première cible des incantations du prêtre exorciste, un gros arbre situé juste à côté de la maison du chef de « kong ». […] A l’intérieur de cet arbre, des boutiques, des restaurants, des bars, des boîtes de nuit. L’arbre contenait tout cela depuis 50 ans.

« Un groupe de sorciers appréhendés et écroués à la prison de Mbalmayo », Cameroon Tribune, 23/01/03

L’effort de la SED pour être pris au sérieux, par exemple par son comptable, ne se voit nulle part mieux que dans ses bilans et comptes de résultat.  Ceux-ci nous donnent une idée du minimum absolu d’argent dont ses patrons croyaient prudent de pouvoir justifier l’existence.

Entre 1991 et 1998, le chiffre d’affaires déclaré de la SED se situait entre 2,39 millions de FF (1997) et 12,52 millions de FF (1991).  Le déménagement de chez Rougier en 1992 (juste après la création du PMU camerounais par l’ancien agent du SDECE Jean-Pierre Tosi et Michel Tomi) semble avoir été catastrophique pour sa santé financière officielle.  Après avoir enregistré des bénéfices flirtant avec un million de FF en 1991 et 1992, elle perd 2,23 millions de FF en 1993. (document n°6)

Regardons 1993 de plus près.  Le détail du bilan actif fait état d’un « Aai divers Congo » de 171 188 FF ; d’un « mat[ériel] de bureau Congo » de 68 149 FF ; ainsi que d’un « mobilier villa » congolais de 186 981 FF.

Du côté des charges d’exploitation sont comptabilisées :

Locat[ion] bureaux Bourdonnais : 480 000 FF [960 000 FF en 1994]

Location bureaux Congo : 120 000 FF 

Location bureaux Trémoille : 471 200 FF

Très scrupuleusement, y sont inscrits, au centime près :

Cadeaux cl[ien]ts Fr[ance] : 5 010, 25 FF

Pourboires et dons : 40 550 FF 

Apparaissent ainsi les frais de voyages, y compris celui ou ceux de Pierre Pasqua, fictif(s) ou réel(s):

Voyage déplacement Congo : 210 248,65 FF

Missions prospection : 82 964, 35 FF [121 068 FF en 1994 ; 150 355 FF en 1998]

La facture téléphonique annuelle des experts de la SED était lourde : 372 808 FF en 1993, tous bureaux confondus.  Ces bons vivants donnaient une « Recept[ion] France Bourdonnais » au moins une fois par an, l’ardoise de celle de 1993 atteignant 19 658 FF. (document n°7)

Des produits d’exploitation cette année-là, on avait en effet de quoi se féliciter.  Sous l’écriture « Prest[ation] Olympic [palace] » les « prestations » pour le gîte personnel de la famille Sassou, géré par un ancien colonel libanais, ont été comptabilisées pour 360 000 FF.  Apparaissent aussi :

Prestation African Fishin[g] : 1 300 000 FF [960 000 FF en 1994]

Prestat[ion] alc : 360 000 FF [460 000 FF en 1994]

Gest[ion]/coord[ination] institut : 1 080 000 FF [0 en 1994]

Prestations sepaz : 100 000 FF [en 1994]

Commissions France : 4 062,35 FF [3 022,25 FF en 1994]

Pour ce qui est du vrai fonds de commerce de la SED – ses services « vendus » à la loterie congolaise (Cogelo), à la Gabonaise de jeux et au PMU camerounais – le comptable communique, de façon fragmentaire, les chiffres suivants (document n°8) :

Pour la Cogelo : 660 000 FF en 1994 ; 2 516 000 FF en 1995 ; 1 920 000 FF en 1996.

Pour la Gabonaise de jeux : 1 400 000 FF en 1994 ; 500 000 FF en 1995

Pour le PMUC: 250 000 FF en 1994

Des chiffres bien ronds.  S’ils correspondent bien ou mal à ceux qu’utilisaient jadis des comptables sur le terrain, il est trop tard pour le savoir.  Sans doute ces personnels ont-ils changés depuis que le siège de la PMUG, par exemple, et celui de feue la FIBA-Gabon se trouvaient à la même adresse.

En France, l’actif « circulant » de la SED était logé sur trois comptes différents de la FIBA. (document n°9)  On voudrait bien croire qu’en 1993 il n’y en avait pas beaucoup :

F.i.b.a. : 1 418 381,82 FF

Fiba SED Agrico[ngo] : 241 573,52 FF

Fiba Trémoille : 43 755,55 FF

Mais, selon les comptes de la SED, il n’y avait pas beaucoup de salaires non plus.  Noël Pantalacci n’en aurait touché aucun ; son fils Antoine, qui lui succède en 1996, se serait toujours contenté de 1 000 FF par mois. 

En fin de compte, le seul chiffre de la SED qui impressionne vraiment par son importance est : 475 866,00 FF – celui, en 1996, des « pénalités amendes fiscales ». (document n°10)

Début 1997, Eva Joly reçoit les premiers témoignages anonymes selon lesquels des sommes versées par Elf transitent par la SED.  Le 28 février 1997 elle envoie Dédé la Sardine au trou, en attendant que ses souvenirs d’une commission vénézuélienne payée en 1992 (20 millions de dollars) décantent un peu.  Libéré, il se rappelle que l’intermédiaire d’Elf pour le Venezuela était l’ancien berger corse Mathieu Valentini, le responsable des assurances du groupe devenu sous Le Floch gestionnaire-clé des caisses noires.  La part du bakchich sud-américain censée revenir à Valentini, mort d’une crise cardiaque en 1991, aurait été versée à Samuel Dossou, le Monsieur pétrole de Bongo.

En 1996, les comptes de la SED font état d’une « mission Venezuela » coûtant 14 571 FF. (document n°11)

Un grand amateur du Gabon, ce Valentini.  En 2000, son fils et successeur Stéphane (trois ans avec sursis, 500 000 euros d’amende) expliquait aux juges que les activités du défunt permettaient à son employeur de « disposer de très importants moyens financiers hors bilan », moyens reversés aux dictateurs comme Bongo sous des intitulés « qui ne correspondaient pas à la réalité des opérations ».  Invité à être plus clair tout en évitant les noms propres, il parlait des projets dont l’ensemble ressemblait à s’y méprendre au périmètre de la Provision pour investissements diversifiés d’Elf-Gabon.  Un périmètre auquel la Gabonaise de forage appartenait depuis au moins 1979.  Les Rougier la rachètent deux mois avant la mort de Valentini.

Bien entendu, ce Mathieu Valentini connaissait la Corsafrique toute entière.  En 1999, à la barre, Fatima Belaïd, l’ancienne épouse de Le Floch, s’est rappelé d’

un dialogue qu’elle aurait surpris entre l’ancien président d’Elf et son bras droit, Alfred Sirven, qu’elle situe au cours de l’été 1990. La scène se serait déroulée au domicile parisien de Mathieu Valentini, personnage pittoresque aux manières peu orthodoxes […]. Au cours de l’échange dont elle dit avoir été le témoin, M. Sirven aurait informé M. Le Floch-Prigent d’un « contrat » commandité par un autre dirigeant d’Elf contre un homme dont elle n’a pu préciser l’identité – « un nom corse, avec des i », a-t-elle seulement indiqué. M. Sirven s’inquiétait, a-t-elle assuré, de ce que M. Valentini lui-même avait été choisi pour exécuter ce « contrat ». Le PDG d’Elf aurait tranché

pour ainsi dire

en disant qu’il allait intervenir auprès du commanditaire… [Le Monde, 14/12/99]

*

A cette date […] les Villeroy ont déjà quitté et vendu leur hôtel de la rue des Bourdonnais. Il tombe dans les mains de deux familles de modeste extraction […] qui, à compter de 1671, y installent la Poste aux lettres. […] Périodiquement, [elles] paient au roi une forte somme, moyennant laquelle [elles] peuvent gérer ce service public comme une entreprise privée. […] C’est là que fonctionnait le singulier système appelé Cabinet noir. Rue des Déchargeurs, certaines lettres étaient repérées grâce à leurs sceaux. Par un passage intérieur qui existe toujours, on les portait rue des Bourdonnais, on décollait les sceaux à la vapeur, et un des fermiers de la Poste les examinait. Les plus intéressantes étaient remises à Louis XV, qui s’en délectait, puis on les recollait et on les remettait dans le circuit.

« L’hôtel des maréchaux de Villeroy : Histoire mouvementée d’une vieille demeure »

En juillet 2000, quelques semaines après la liquidation amiable de la FIBA, la SED arrive, officiellement, à sa dernière demeure.  Personne n’a pris la peine d’effacer ses traces à l’avant dernière.  Nous avons déjà fait état des renseignements que porte son ancienne boîte aux lettres au 34 rue des Bourdonnais : le mariage Agricongo – SED y est affiché sans complexes.  Si ces deux entreprises sont bien mortes, celles qui partageaient leurs locaux sont, elles, toujours en vie.

A vrai dire il y a de l’espace, et pas seulement pour les coquilles vides.  L’hôtel des maréchaux de Villeroy constitue (avec son voisin, le 9 rue des Déchargeurs) la plus vaste structure parisienne du XVIIème  encore occupée par des particuliers.  Inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques il est l’abri des SCI d’Antoine Pantalacci (SCI Bd Foch, Gersim) ainsi que de celle d’une ancienne employée de la SED, Marianne Pereira da Cruz (SCI San Miguel).

Il y a plus curieux chez l’ancienne SED.  Comme CIAT chez les Rougier, ACF Consultants / AC Formation est une loyale locataire.  Comme CIAT, elle est actuellement en petite forme.  Comme CIAT, elle tient bon.

La branche dans laquelle exerce ACF est le coaching des cadres, la fourniture de bilans de compétence, la formation.  Dirigée par une ancienne de Thomson-CSF très au fait de la Polynésie française, assistée par un ancien de la CEGOS muni d’un DEA en psychologie, cette PME propose ses services, selon sa littérature promotionnelle, « au sein du cadre légal », ce qui est rassurant.  

Pour les directeurs de ressources humaines, les locataires de la SED vont :

Accompagner tous les changements individuels et collectifs (restructurations...)

Prendre en charge tout ou partie de [leurs] recrutements

Jouer le rôle de médiateur face aux syndicats

Il faut que quelqu’un s’en occupe, après tout.  Pour la direction commerciale, marketing « et/ou patron d’un service », l’ACF va assurer :

Management interculturel

Formation comportementale

Sponsoring et mécénat = montage de dossiers, recherche de sponsors

Ses références sont excellentes.  La meilleure d’entre elles : le Conseil général des Hauts-de-Seine.  Parions qu’à l’époque où elle bossait pour Pasqua, ACF n’était pas au bord de la faillite. 

Parmi ses autres clients : la Caisse des dépôts, Air France, la RATP, le Centre Georges Pompidou, et la Comédie, justement, française.  En passant par Alstom, l’Hôtel Georges V, le Crédit agricole, la Fédération nationale des assurances marocaines, et la Triade – le groupe agro-alimentaire bien entendu. 

Animateurs depuis peu d’une « Association pour une éthique et une clarification du coaching », les locataires de Pantalacci et Luciani se vantent de leurs résultats auprès des commerciaux de l’Agence France Presse, des « chefs de village » du club Méditerranée, et des cadres de la Banque Socredo à Tahiti.  En 2000, ces derniers ont fait la une… à Papeete.  Leur institution, dont les deux actionnaires sont la Polynésie française et l’AFD, aurait accordé des prêts, indûment, à Gaston Flosse. 

Décidément, ACF a l’air d’exister.  Tout en partageant à peu près le même objet qu’elle, la société Induction paraît moins bien ancrée dans le réel.  Elle est pondue en octobre 1986 par l’ancien OAS puis fasciste Christian Alba, qui est en l’occurrence le beau-frère de Toussaint Luciani, également actionnaire.  Nous espérons nous être suffisamment effarés de cet Alba, administrateur du CIAT, dans Les Pillards de la forêt.  En 1993, il est remplacé à la tête d’Induction par un certain Séraphin Yaschwill, qui comme son prédécesseur exercera ses fonctions à titre bénévole.  Mais distinguer ce que fait Yaschwill pour de l’argent de ce qu’il fait par pur bonheur est compliqué par le fait qu’il est membre d’une secte : le périlleux « parti humaniste ».

Lié aux mouvements d’extrême droite en Argentine et au Brésil, ce « parti » est issu du Mouvement humaniste créé en 1969 par Mario Rodriguez Cobos – « Silo » pour les illuminés – fondateur du « Siloïsme ».[4]  Les méchantes langues susurrent que les fonds récoltés par ces Humanistes se retrouvent parfois dans les coffres de partis politiques non sectaires.  Ce qui est sûr c’est qu’en France le parti aime de temps en temps se présenter aux élections.  Aux municipales 2001, par exemple, Séraphin Yaschwill se signale sur la liste « L’humain d’abord » dans le très tolérant 11ème arrondissement de Paris.

Cette bande aurait une prédilection pour les bonnes œuvres en Afrique.  Un membre parle de l'achat de moustiquaires pour le village de Diamaguène au Sénégal.  Une rescapée, moins précise, se souvient d’une soirée barbecue « au profit du Burkina Faso ».  Elle se rappelle surtout de la très grande difficulté à discerner le haut de l’organigramme.  Le mantra siloïste « Paix, force et joie » émet un petit parfum de Kraft durch Freude.

Il serait intéressant d’apprendre quelles sociétés ont bénéficié des conseils d’Induction.  Des abcès Humanistes sont parfois découverts là où on les attend le moins.  Il y a quelques années, Charlie Hebdo en a crevé un au sein de McDo-France.  Le fournisseur exclusif de cette chaîne, L.R. Services, s’était tourné vers une boîte de formation, Spirale Consultants.

Le changement du comportement du personnel de l'entreprise est […] considéré […] comme un objectif stratégique. […] La « FORMATION » commence le dimanche soir. Emmenés en bus vers un lieu d'hébergement tenu secret, où ils resteront isolés sans téléphone ni courrier, les salariés de L.R. Services doivent, quatre jours durant, se plier aux ordres les plus saugrenus des deux « formateurs ». Faire leur « autocritique » […]. Manger avec la main gauche s'ils sont droitiers, et inversement. Ou encore pousser la chansonnette au réveil. Les personnes refusant de se plier à cette formation […] seront mises dans une situation telle qu'elles seront dans l'obligation de quitter l'entreprise. [29/07/98]

Un des formateurs, ancien militaire argentin, était José Lara, prophète du Siloïsme. 

*

Le spectacle était beau et la course truquée.

Nicolas Bouvier, L’Usage du monde

En avril 2000, quand, contre toute attente, Induction fait faillite, l’heure est grave pour le petit monde corsafricain.  Tout autour de la SED, les entreprises pasquaïennes ferment l’une après l’autre.  Certes, au 14 rue Clément Marot, la Société centrale de commerce et de liaison (Socolia) de Pasqua fils reste viable… et décide de déménager en septembre.  Mais au 16 rue Clément Marot, il ne subsiste que de beaux souvenirs pour la vénérable Indice SA de Jean-Jacques Guillet : des sondages bidons montés avec Dominique Vescovali en 1981 pour le candidat Chirac.  En juin 2000, sur les traces de deux versements (9,4 millions de FF) à Indice en provenance du compte suisse « Antigua » de Dédé la Sardine, les juges se rendent au domicile des Guillet.  Indice était l’actionnaire principal du Quotidien du maire, canard des Hauts-de-Seine.

Toujours au numéro 16, Communication et participations ferme boutique.  Créée en 1986 deux mois avant Induction, elle était gérée par William Abitbol et l’épouse de Guillet, Françoise Léry.  La boîte était actionnaire de l’agence publicitaire d’Abitbol, Marianne, logée à la même adresse, qui elle aussi met la clef sous le paillasson pendant la grande lessive de 2000. 

Prestataire des pubs pour le Conseil général des Hauts-de-Seine, Marianne n’a pas trop bien su gérer sa propre com lorsqu’il fut révélé que son administrateur, l’ancienne épouse d’Abitbol, avait touché un salaire fictif Elf de 20 000 FF par mois.  Chez Marianne, Bénédicte de Kerprigent travaillait – pour de vrai – avec un certain Olivier Noc, en charge des sondages à l’Express, et avec un certain Philippe Calleux, qui assurera par la suite les relations publiques de Buffalo Grill.

23 avril 2002.  Au bout de la nuit : les lueurs de l’aube.  Si ce n’est une nuit encore plus profonde.

Impossible en effet de rater ce jour-là l’arrivée au 16 rue Clément Marot de GlobalSantaFe Africa Inc.  Une firm de Houston et des îles Caïmans.  Mais que diable sont-ils venus faire ici ces cow-boys, spécialistes des plateformes pétrolières dont les cantilevered jackups étoilent l’offshore angolais, équato-guinéen, nigérian, gabonais, et camerounais ? 

Comme a dit le sage Tevye dans Un violon sur le toit : Je vais vous dire : je ne sais pas.  En tant qu’industrie caïmanaise,

La Société n’est pas constituée avec des objets particuliers et elle a tout pouvoir pour mener toute activité qui n’est pas interdite par la Loi sur les sociétés […] telle qu’elle pourra être périodiquement amendée, ou par toute autre loi des îles Caïmans.

Mais une résolution certifiée du 19 août 2002 est plus claire :

L’objet de cette succursale sera d’assurer la coordination des activités relatives à la préparation d’appels d’offres concernant des prestations de forage à exécuter par des sociétés affiliées en dehors de France.

Désignée par le département de la Justice américain comme « partie potentiellement responsable » d’un site toxique à Santa Fe Springs en Californie, GlobalSantaFe s’apprêtait en 2003 à devoir débourser 800 000 dollars pour le nettoyer. 

A part M. Christophe Jean Raimbault, jeune gérant des locaux pasquaïens, un des seuls administrateurs non texan de cette société s’appelle Stephen Solarz.  Comme plus d’un ancien représentant démocrate de New York, ce co-fondateur de l’International Crisis Group a toujours passé pour quelque chose d’un gauchiste.  Il a longtemps été président de la sous-commission des affaires africaines de la Chambre des représentants.

A l’évidence, sa société fore et éponge aujourd’hui en plein Paris.  On s’attend, avec impatience, à ce que son site soit officiellement déclaré très toxique.

Arnaud Labrousse, novembre 2004


[1] Rebaptisée Banque française de l’Orient, la banque de la maison Pasqua est encore mise en action pour de grandioses versements entre 1995 et 1998 au profit de son association France-Afrique-Orient.

[2] Le 21 décembre 1987, Luciani dépose les statuts de sa propre Société civile immobilière.  La SCI Beaujon n°7 se trouve toujours en 2004 à l’adresse de la délégation générale des Infrastructures commerciales de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris.  Rien à voir, bien sûr, avec le monde des jeux.

[3] Pendant de longues, glorieuses années les jumelles légitimes de la SED s’accrochaient fort aux pouvoirs publics, français et autres.  La SFC qui rédige pour le ministère de la Coopération un brûlot comme Administrations, états et sociétés africaines, livre, en décembre 1990, un audit du secteur pêche en Mauritanie.  Sa conclusion :

Si l’Etat veut créer une richesse nationale, il doit surtout privilégier […] la sous-filière glacier installations à terre (installation de stockage, de congélation et de transformation).

Papa-m’a-dit l’avait compris.  Dédé la Sardine aussi.  Idem pour l’astucieux Gabonais Guy Nzouba Ndama.  Ministre de l’Education, il créé la Société gabono-mauritanienne de pêche en 1987, pour devenir conseiller de Bongo en 1990.  Aujourd’hui président de l’Assemblée nationale, il est détenteur depuis mars 1992 d’un permis forestier de 13 400 ha dans son Ogooué Lolo natal.

Les conseils de la SEDES/CEGOS faisaient parfois preuve de prédilections corses.  A une époque, révolue bien entendu, où le gouvernement gabonais ne s’interdisait pas le mélange de genres.  En 1988 par exemple, la Société des transports de Libreville (Sotravil), liquidée l’année précédente, est l’objet d’études de l’ancienne SFC. 

M. Georges Rawiri, premier vice-Premier ministre et ministre des Transports, des eaux, des forêts et de la communication sociale a donné certaines précisions […].  Dans le domaine des transports urbains […] l’Etat souhaitait laisser intervenir à sa place le secteur privé [...]. Trois sociétés étrangères s’intéressent à la reprise des activités de la Sotravil : Pegaso (Espagne), RVI (France) et une entreprise corse. […]

Tout de même !  La Corse, ce n’est pas la province rebelle de la France? 

Des études sont en cours, d’autre part, dans le domaine des eaux et forêts pour trouver, selon M. Rawiri, des solutions aux difficultés du secteur […]. [Marchés tropicaux, 27/05/88]

[4]

« Bonjour, quel est ton nom ? Moi, je m'appelle Marie-Ange et toi ? ». Quand le Mouvement attaque, ça commence très fort. En quelques semaines, une foule d'enquêteurs à fort accent espagnol se sont abattus sur la capitale [française]. Deux questions pour les passants coopérants: « Que penses-tu du monde ? », « as-tu l'impression de faire ou d'avoir fait ce que tu veux de ta vie ? ». Et si l'interlocuteur semble un peu désabusé ou révolté contre « le système, source de violence et d'oppression », l'enquêteur perçoit « le signal » de ce qu'il appelle « la sensibilité ». « Et si on prenait un café ensemble ? Le Mouvement, c'est des personnes normales avec les mêmes intentions : humaniser la Terre. C'est possible et c'est simple ». [Libération, 10/08/90]

Discutez dans le forum Politique ou laissez un commentaire ()


Bio de Arnaud Labrousse: Pas de biographie pour le moment
Réagir ( commentaires postés)
 Envoyez cet article à vos amis!

Copyright ©BDP-Gabon Nouveau - Cet article et son contenu (texte et photos) sont les propriétés exclusives du BDP-Gabon Nouveau. Toute reproduction, republication, diffusion, (re)transmission, réécriture, paraphrase ou redistribution sans autorisation écrite et préalable du BDP-Gabon Nouveau est strictement interdite.
 
Récents Articles::GABON::AFRIQUE::MONDE
Gisement de fer de Belinga: Le consortium est constitué
1.520.000 Gabonais recensés à la veille des élections: Sommes-nous envahis ?
Gabon : Suspension de la perception de la taxe aéroportuaire et portuaire
Togo: les quatre candidats à la présidentielle
Economie africaine: La France pilote et défend la zone franc
Le Nigeria envisage un organisme régional pour protéger le Golfe de Guinée pétrolifère
Le président Bongo Ondimba veut sauver Air Gabon
"Il faut sauver Air Gabon"
Conseil des ministres du jeudi 7 avril 2005: Communiqué final
Gabon-FMI: Félicitations et encouragements à notre pays pour les réformes entreprises
Sur la Nationale 1: Quatre morts et sept blessés graves
Pour échapper à la justice, l'assassin de Mandji se donne la mort
Les basketteuses du Gabon en regroupement pour préparer la 19ème CAN féminine
Un concubin jaloux tue sa compagne à Kafélé
Réel espoir pour juguler la crise de l'habitat

Lire aussi dans les rubriques: Economie | Politique | Santé | Science/Tech Société | Rumeurs | Divers | Loisirs | Médias | Education | Sports | Afrique BDP Annonces | Communiqués | Monde | Révélations | Rapports | Analyses BDP | Discours BDP | Conventions France-Gabon| Communiqués BDP | BDP dans les médias
 
DOSSIERS
Rapports
Révelations
ACTUS BDP
Analyses BDP
Discours

Communiqués BDP@Médias
DOCUMENTS
Conventions France-Gabon
RUBRIQUES
Economie
Politique
Santé
Science/Tech
Société
Rumeurs
Divers
Loisirs
Médias
Education
Sports
Afrique
Communiqués
Monde
ACTIVISME
Poésie liberté

 


BDP-Gabon Nouveau©1998-2007