LIBREVILLE, 20 juil 1999 (AFP) - Les cultes animistes et leurs rituels, présents depuis la nuit des temps dans la vie des Gabonais mais "clandestinisés" pendant plus d'un siècle de colonisation chrétienne, retrouvent progressivement leurs lettres de noblesse à l'aube de l'an 2000. Ce retour culturel se caractérise à Libreville par la multiplication des conférences universitaires, expositions et émissions, sur le Bwiti, terme générique recouvrant l'ensemble des cultes animistes gabonais. Le Bwiti, dont les origines remontent aux Pygmées, premiers occupants avant les Bantous de la grande forêt équatoriale, consiste notamment en des cérémonies dirigées par des sorciers-guérisseurs visant à des "transferts mystiques pour consulter les esprits de la forêt et ceux des ancêtres". Outre l'intégration dans l'ordre social par des rites d'initiation, exclusivement masculins ou féminins, le Bwiti permet de soigner nombre de maladies physiques ou psychosomatiques par l'usage de plantes.
Le Français Jean-Claude Cheyssial a consacré un documentaire en trois parties au Bwiti. "Le Bwiti sort du bois", déclarati-il lundi à l'AFP, tout en se félicitant du succès remporté auprès du public Gabonais par ses documentaires diffusés à la télévision. Après "la nuit du Bwiti" sur une séance d'initiation, "le souffle de la forêt" sur les "ngangas" sorciers-herboristes, M. Cheyssial a montré en avant-première début juillet au Centre culturel français (CCF) de Libreville: "Secrets de femmes", consacré à cinq guérisseuses. "Le fait que des grands maîtres aient dévoilé une partie de leur art témoigne, malgré bien des réticences, de leur volonté de ne pas laisser perdre une tradition d'une extrême richesse. Je n'aurais pas pu filmer celà il y a une dizaine d'années", indiquait-il. "Il y a de plus en plus de jeunes qui se font initier", estime de son côté un transporteur, Hugues Poitevin, "vieil initié" lui-même. "La journée, ils ont des allures de rappeurs avec leurs casquettes à l'envers et le soir on les retrouve en train de danser dans une cérémonie", remarquait-il.
Né dans une famille bwitiste, le photographe Désirey Minkoh, auteur d'un récent reportage photographique sur ce thème, le premier réalisé au Gabon, constate également cette "réémergence des rites africains". "Crise économique et morale, digestion de l'héritage des Blancs et réaffirmation des croyances traditionnelles, il y a un peu de tout ça probablement", dit-il. "Certains des hauts dirigeants du pays ne cachent plus le fait qu'ils sont initiés, étant entendu que la quasi-totalité d'entre eux pratiquent ou ont pratiqué à des degrés divers", affirme-t-il en ajoutant aux rites Bwiti, ceux de la Franc-maçonnerie et des Rose-Croix, "assez prisés tout en étant africanisés" dans ces milieux dirigeants, selon lui. Un "grand-prêtre" nganga, remarque-t-on par ailleurs, s'était même risqué, pour la première fois au Gabon, à lancer un appel politique public avant l'élection présidentielle de décembre 1998, "transmettant le message des esprits en faveur de Pierre Mamboundou" qui a été cependant battu par le président-sortant Omar Bongo. De son côté, l'un des plus éminents pharmacologues du Gabon, le professeur Jean-Noël Gassita, poursuit ses travaux sur le "bois sacré" du Bwiti, l'iboga, un arbuste aux racines alcaloïdes, dont la consommation favorise le "transfert mystique" vers les esprits de la forêt et des ancêtres.
"Les premiers gabonais, les Pygmées, avaient découvert cette plante en observant les sangliers qui eux l'utilisaient plutôt pour un effet érotique, car l'iboga est aussi un puissant toni-cardiaque", a-t-il indiqué à l'AFP, ajoutant plus sérieusement : "Aujourd'hui, des médecins américains l'utilisent dans le traitement des toxicomanies". Les "ennemis naturels" du Bwiti, les Eglises en premier lieu, semblent elles osciller entre la récupération des meilleurs côtés de pratiques mystiques qui ont rythmé la vie des Gabonais pendant des siècles et le maintien de sa condamnation pour "satanisme". A la maison d'édition "Fondation Mgr Raponda Walker", l'un des responsables, le frère Hubert, trouve "parfaitement normal de sauver de l'oubli la très riche tradition orale des Bantous", tandis que ses "collègues" du Christ-Roi n'hésitent pas à déclarer que "les fétiches sont inspirés par Satan et doivent retourner à leur maître par le feu". Enfin, d'autres, comme les nouvelles églises dissidentes protestantes dites "éveillées", tentent de détourner les Gabonais, particulièrement les malades, de consulter les ngangas pour s'en "remettre à l'amour de Jésus".
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